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BOURGEOISIE

Le terme « bourgeoisie » apparaît en français au xiiie siècle. Il désigne alors, essentiellement dans des bourgades et des villes, ceux de leurs habitants qui sont soustraits au régime juridique régissant ordinairement les rapports entre seigneurs et paysans. Pendant les siècles suivants, le terme en vint à désigner les membres d'un ensemble de catégories sociales constitué de marchands et armateurs, d'entrepreneurs, de gens de finance, avocats et autres gens de loi ou tout simplement des rentiers. En France, le xviie siècle est celui d'un triomphe, sous l'aile protectrice de la monarchie absolue, de cette bourgeoisie riche de succès économiques et sociaux, bien introduite dans les Conseils du roi, mais pauvre d'autorité politique directe. L'évolution n'est guère différente dans les autres pays européens marqués par les révolutions commerciales et industrielles de l'époque dite moderne. Les termes « bourgeois » et « bourgeoisie » bourgeonnent alors dans la langue française, donnant naissance à plusieurs adjectifs et adverbes, dont l'usage est de plus en plus généralisé. Mais la notion de « bourgeoisie » n'est pas encore un concept explicatif.

De la notion au concept : vers une vision marxiste de la bourgeoisie

Timidement dès le xvie siècle, plus fermement au xviiie, se présente l'idée que le cours des événements historiques peut s'expliquer, ou du moins s'éclairer, par la prise en compte des affrontements entre groupes sociaux : « peuple gras » et « peuple menu », noblesse de race et tiers état, etc. Mais la bourgeoisie comme acteur de l'histoire est encore absente de la vision du devenir humain de Montesquieu ou de Voltaire, ce qui n'est pas sans surprendre, dans la mesure où ils attribuent au commerce une importance considérable. C'est la période brûlante de la Révolution française qui fait de la bourgeoisie une catégorie conceptuelle. Dans son Introduction à la Révolution française, écrite en 1793, Antoine Barnave, un des maîtres à penser de la bourgeoise Gironde, montre en effet que l'évolution de la société depuis le Moyen Âge a pour sens profond la substitution progressive des intérêts marchands et industriels aux intérêts agraires ; en conséquence, la bourgeoisie s'est trouvée propulsée sur le devant de la scène politique, comme elle l'avait été sur le devant de la scène sociale, au détriment de l'ancienne aristocratie. La leçon donnée à chaud par Barnave ne fut pas perdue pour la réflexion historique qui se développe au xixe siècle. L'idée que la trame de l'histoire, entendue comme le « progrès de la civilisation », est éclairée par les rapports entre les classes – dont la bourgeoisie – traverse l'œuvre historique de François Guizot. Jules Michelet, quant à lui, reste plus attaché à la notion de « peuple », un peuple qui réunit les travailleurs manuels et les couches les moins nanties de la bourgeoisie.

Mais il revenait à Marx, élevant la notion au rang de concept, de faire de la bourgeoisie un acteur fondamental de l'histoire. Comme l'explique le Manifeste du parti communiste (1848), la bourgeoisie est une classe sociale qui a mis en œuvre des révolutions techniques, commerciales, industrielles, sociales conduisant à la dépossession de l'ancienne aristocratie et instaurant comme rapport social dominant l'exploitation du prolétariat. Aussitôt formulée, cette thèse était cependant nuancée par la prise en compte de la diversité des groupes, strates et composantes de la bourgeoisie, dans les œuvres dites « historiques » de Marx : Les Luttes de classes en France (1850) et Le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte (1852). Elle n'excluait pas une réflexion sur la signification des valeurs et des idéologies de la bourgeoisie au regard de sa situation de[...]

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Écrit par

  • : maître de conférences honoraire à l'université de Paris-I

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