BOURGEOISIE FRANÇAISE
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L'avènement politique de la bourgeoisie
À une dizaine d'exceptions près, les six cents députés du Tiers aux États généraux appartiennent à la moyenne ou petite robe ou à la bourgeoisie des négociants, propriétaires terriens et membres des professions libérales. La plupart des heurts révolutionnaires représentent l'affrontement entre la bourgeoisie d'affaires (Girondins), plus conservatrice, et celle des avocats et procureurs, plus doctrinaire, dont Robespierre, avocat d'Arras, est le porte-parole.
Le Code civil, condensé de l'idéologie bourgeoise
Les résultats positifs de la Révolution sur le plan des institutions françaises sont l'aboutissement de tendances qu'on avait pu voir évoluer durant l'Ancien Régime. La Révolution de 1789 a été définie comme l'avènement de la loi. Cette définition met l'accent sur sa conséquence la plus importante, modifiant les mœurs tant publiques que privées, et donc la vie quotidienne du pays tout entier. Le Code civil, promulgué le 21 mars 1804, par celui en qui on voit à juste titre le fils de la Révolution, Napoléon, est calqué sur la loi romaine, en particulier pour ce qui concerne la propriété, considérée désormais comme le droit d'user et d'abuser. Ce code, dont on a pu dire qu'il était « l'ensemble de la législation du capital » est muet sur la réglementation du travail et des salaires ; il consacre l'état de perpétuelle minorité auquel la femme s'était trouvée acheminée sous l'Ancien Régime, notamment depuis le xviie siècle. Il institue l'autorité absolue du père et du propriétaire et ne considère l'homme qu'en tant qu'individu, mettant d'avance obstacle à tout ce qui pouvait faire revivre un esprit d'association demeuré vivant même sous l'Ancien Régime.
Conformément à la disposition qui faisait tout dépendre de la loi émanant du pouvoir central est opérée une complète refonte de l'administration, portant à son point extrême la centralisation à laquelle on avait tendu pendant tout l'Ancien Régime. Cette organisation subsistera à travers tous les changements de régime ; elle consacre la suprématie administrative et politique de Paris, correspondant à une centralisation financière, les capitaux et plus tard les sièges sociaux s'y trouvant concentrés.
L'oppression par la liberté
Tous les citoyens étaient égaux en droit, mais seuls pouvaient exercer ces droits ceux qui jouissaient d'une certaine fortune. La Révolution avait en effet instauré le suffrage censitaire, distinguant entre citoyens actifs, seuls électeurs et éligibles, et citoyens passifs. D'autre part, aucune disposition n'avait été prise concernant le régime du travail et des salaires, sinon cette totale liberté préconisée depuis longtemps par les physiocrates et la bourgeoisie des philosophes comme des industriels. Seules quelques personnalités – Marat entre autres – avaient jeté un cri d'alarme lorsque, en 1791, la loi d'Allarde avait supprimé les maîtrises et jurandes, et la loi Le Chapelier les compagnonnages.
Au moment même où naissait en France, d'ailleurs assez timidement, la grande industrie, on allait voir les salaires comprimés jusqu'à l'extrême, le travail de la femme et de l'enfant exploité sans la moindre limitation. Ce n'est qu'en 1841 – sur la constatation alarmante faite par le baron Charles Dupin que, sur 10 000 conscrits venant des départements industriels, 8 980 devaient être réformés – que sera promulguée, après un an de discussions, la loi interdisant de faire travailler dans les fabriques « dangereuses ou insalubres » les enfants de moins de huit ans ! La loi prévoyait une durée de travail de huit heures pour les enfants de huit à douze ans, de douze heures ensuite ; encore divers amendements vinrent-ils sur ce point en restreindre la portée. Le corps d'inspecteurs du travail créé par la loi de 1841 n'allait être effectivement mis en place qu'en 1874. À cette même date, l'âge limite pour le travail de l'enfant sera fixé à douze ans. Ce n'est qu'en 1892 qu'une loi interdira le travail de nuit pour les femmes dans les usines ; la journée de travail à cette époque sera de dix heures au moins ; et le repos hebdomadaire ne sera imposé par la loi qu'en 1906.
C'est aussi pendant la période révolutionnaire que seront mises en place les deux institutions les plus importantes et les plus caractéristiques de la bourgeoisie française au xixe siècle : la banque et l'Université.
La banque
La Banque de France est créée le 13 février 1800, c'est-à-dire trois mois après le coup d'État de Brumaire (9 nov. 1799). Des banquiers dont l'activité était déjà importante sous l'Ancien Régime : Mallet, Perrégaux, Lecouteulx de Canteleu, se trouvaient pourvus d'un instrument financier officiel dans l'État avec la création de cette Banque de France dont Lecouteulx devenait le président. À la banque étaient octroyés le monopole des billets de banque et les opérations d'escompte. L'État se contentait de nommer un gouverneur, tandis que l'administration de la banque était confiée à un conseil de régents nommés par les deux cents plus importants actionnaires. Parmi ces régents, on rencontre des noms de personnages importants dans l'activité économique du pays, comme celui des Suisses Delessert ou Hottinguer et plus tard Jacques Laffitte, successeur de Perrégaux. La Banque de France instituait dans l'État une « république de capitalistes » ; cette oligarchie financière devait manifester une permanence étonnante à travers les changements de régime : le banquier Mallet, ses petits-fils et arrière-petits-fils auront siégé au conseil de régence pendant près de 140 ans.
Le développement économique et financier au xixe siècle se fait en plusieurs temps ; une première période d'expansion industrielle a lieu sous la Restauration, entre 1822 et 1826, avec l'introduction de la machine à vapeur, notamment dans les textiles, les mines, les sucreries, l'industrie métallurgique. Un progrès décisif se manifeste dans les transports sous la monarchie de Juillet avec la loi de 1842 organisant les chemins de fer par l'intermédiaire de compagnies concessionnaires. La presse commerciale naît à la même époque (1836, La Presse d'Émile de Girardin), et peu après la première agence de publicité organisée à Paris (Duveyrier, 1845). Le second Empire verra un nouvel essor de la bourgeoisie industrielle, soutenue par le mouvement saint-simonien qui infuse une sorte de mystique du progrès, notamment dans les domaines de la finance et de l'exploitation des techniques. En 1867, la loi sur les sociétés anonymes donne au capitalisme le caractère d'anonymat et d'irresponsabilité qui lui manquait encore ; dès 1866 avait été accordée la liberté du courtage favorisant les opérations en Bourse ; la spéculation sur les valeurs sera déclarée licite en 1885, de même que, l'année suivante, la liberté du taux de l'intérêt. L'activité financière se développe donc désormais sans contrôle, stimulée par l'afflux d'or en provenance du Nouveau Monde, puis d'Australie et d'Afrique du Sud.
Le second Empire aura vu successivement la création du Crédit foncier et du Crédit mobilier (Pereire), la multiplication des compagnies d'assurances, la naissance des grands magasins (Au Bon Marché d'Aristide Boucicaut, 1852), suivies bientôt d'une multitude d'initiatives du même genre. Pour 6 000 machines à vapeur en usage dans l'industrie française en 1848, on en comptera 28 000 en 1870.
L'Université
En 1870-1871, sous l'action d'Adolphe Thiers, dont la carrière politique avait commencé sous la monarchie de Juillet et repris, dans l'opposition, en 1863, s'instaure en France une « république conservatrice ». On assiste à l'avènement d'une bourgeoisie d'intellectuels, avocats, professeurs, fonctionnaires. Celle-ci se forme à l'Université fondée par Napoléon en 1806, monopole d'État, radicalement différente de l'institution autonome du même nom née aux temps féodaux. L'organisation de l'enseignement primaire (1880-1882) conduisant au brevet, parallèlement à l'enseignement secondaire menant au baccalauréat, crée d'avance une barrière entre l'instituteur et le professeur, fermant au premier l'accès à l'enseignement supérieur ; cette situation ne sera modifiée que très lentement au milieu du xxe siècle. Le souci est alors manifeste de créer une élite intellectuelle à laquelle sera réservée l'entrée dans les grands corps de la nation : Conseil d'État, Cour des comptes, inspection générale des Finances, diplomatie ; la création en 1872 de l'École des sciences morales et politiques par le saint-simonien Émile Boutmy correspondait à ce souci d'assurer le recrutement des hauts fonctionnaires dans les couches supérieures de la nation.
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Écrit par
- Régine PERNOUD : archiviste paléographe, conservateur aux Archives nationales
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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