BRAKHAGE STANLEY dit STAN (1933-2003)
Stan Brakhage est, historiquement, la deuxième personnalité la plus importante du cinéma expérimental américain d'après-guerre. Si Maya Deren, par sa pugnacité militante et ses propres travaux, dota dès la fin des années 1940 d'une identité spécifique les réalisateurs d'avant-garde, qui n'étaient plus alors plasticiens ou protagonistes de grands mouvements culturels (tels le dadaïsme ou le surréalisme dans les années 1920) mais spécifiquement filmmakers, Stan Brakhage élabora, avec le moyen métrage Anticipation of the Night (1958), un langage, une esthétique propres à ce cinéma, qui n'avaient aucun autre modèle dans le passé. Il tentera, à travers ce que les théoriciens américains ont appelé le lyrical film, fait de surimpressions fluides et multiples, de raccords dans le temps, d'absence de narration, de retrouver une « vision vierge de l'œil » débarrassée de toute éducation perspectiviste mais en travaillant sur des paramètres cinématographiques (il filme en prises de vues réelles) et non picturaux à l'instar de ses aînés « abstraits » Fischinger ou Richter.
Né en 1933 à Kansas City (Missouri), Stan Brakhage fréquente les salles de cinéma dès l'enfance. La vision d'Orphée, de Jean Cocteau (1950), d'une part, la lecture des textes de Gertrude Stein, de l'autre, lui suggèrent qu'il pourrait faire des films avec la même liberté créatrice que les poètes. Il passe à la réalisation avec Interim (1953), histoire toute simple d'une rencontre sentimentale entre deux jeunes gens. Les premiers films de Brakhage se distinguent peu de ceux de ses prédécesseurs immédiats, Maya Deren, James Broughton... Ils montrent des personnages mentalement torturés, en proie à des pulsions sexuelles difficilement domestiquables. Reflection on Black (1955), Flesh of Morning (1956), Loving (1957) relèvent de cette inspiration. En 1955, le peintre Joseph Cornell confie à Brakhage le soin de filmer le métro new-yorkais. Pour la première fois, le jeune homme doit construire une œuvre sans aucun recours à la narration, uniquement en utilisant les potentialités plastiques de l'architecture, des wagons. Ce court métrage, titré The Wonder Ring, amorce le style à venir de Brakhage.
Après maints tâtonnements, le cinéaste met partiellement au point son écriture avec Anticipation of the Night (1958), qui suit les pérégrinations d'un individu se débattant dans un réseau de signes visuels, témoignage de sa recherche d'une vision sauvage du monde, hors des conventions de l'éducation. Le cinéaste développe ici un langage qui, s'il tente de saisir par une succession de surimpressions, d'images filées, de croisements de temps et d'émulsions diverses, cette vision originelle, n'en constitue pas moins à son tour une démarche structurée, dotée de ses propres règles. Il l'affinera dans ses grandes sagas des années 1960. Brakhage développera ses positions théoriques dans un livre écrit en 1963 Metaphors in Vision.
Un autre événement s'avère décisif pour Brakhage : durant le tournage d'Anticipation of the Night, il épouse une de ses étudiantes qui lui donnera de nombreux enfants. À ce film novateur au niveau formel, succède ainsi Window Water Baby Moving (1959) où le cinéaste filme, dans un écheveau d'images superbes, donnant pour la première fois l'équivalence d'une vision intra-utérine du monde, la naissance de sa première fille. Dans les années 1960 et 1970, il élabore une suite de grandes séries, sortes de fresques intimes où il prend pour sujet sa famille, l'évolution de ses enfants et la sienne propre comme homme et comme artiste, mêlant souvent, dans des envolées d'abstraction lyrique et panthéiste, son propre regard à celui supposé de ses fils et filles, encore détenteurs d'un « œil vierge ». [...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Autres références
-
CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d'avant-garde
- Écrit par Raphaël BASSAN
- 11 954 mots
- 3 médias
...sa signature), de manière à créer un collage très dense qui deviendra plus ou moins la première critique-fascination des médias par leurs dérivés. Stan Brakhage, avec Anticipation of the Night (1958), crée un nouveau langage à base de surimpressions multiples, de solarisation, de montages dans la caméra... -
ÉROTISME
- Écrit par Frédérique DEVAUX , René MILHAU , Jean-Jacques PAUVERT , Mario PRAZ et Jean SÉMOLUÉ
- 19 774 mots
- 7 médias
...reconnus comme une classe sociale à part entière, avec ses frustrations, ses désirs et ses élans, imposent leur langage. Un auteur aussi marginal que Stan Brakhage, un des pères du cinéma underground américain, restitue en 1956 l'aspect glauque de la solitude sexuelle dans Flesh of Morning. ... -
MEKAS JONAS (1922-2019)
- Écrit par Raphaël BASSAN
- 2 056 mots
- 1 média
...films. Il aide d’abord une amie, Dorothy Brown, à organiser des projections hebdomadaires dans son loft. Vers 1960, il découvre, fasciné, le travail de Stan Brakhage. Il fonde alors la Film-Makers’ Cooperative qui prend en dépôt et loue des films expérimentaux. Il poursuit en créant, en 1964, la Film-Makers’...