NUŠIĆ BRANISLAV (1864-1938)
Nušić est l'un des écrivains les plus féconds des lettres serbes. Il doit sa gloire d'abord à ses comédies où il apparaît comme un magicien du rire et un génie pour créer des situations comiques. Grâce à sa valeur autant esthétique qu'éthique, son œuvre porte à travers des temps très bouleversés la civilisation de tout un peuple. Elle est l'image morale la plus fidèle de la société serbe depuis les années quatre-vingt et de celle du peuple yougoslave de l'entre-deux-guerres. Et son théâtre n'a cessé d'être joué.
La société à travers le comique
Né à Belgrade, Branislav Nušić se manifesta en littérature à l'âge de dix-neuf ans, avec sa comédie Narodni Poslanik (Le Député), qui ne put être jouée en raison de son contenu satirique. Sumnjivo Lice (Une personne suspecte) ainsi que Protekeija (La Protection), composées aux alentours de 1887, durent, pour les mêmes raisons, patienter jusqu'après la Première Guerre mondiale.
Dans ces pièces, les luttes politiques pour obtenir ou combattre le pouvoir sont la source des ambitions et la cause des conflits. Nušić, Slave méridional, est très sensible aux défauts de ses compatriotes. Il en souffre et s'engage dans la lutte contre le relâchement, pressentant les vicissitudes de l'avenir. Son rire cache l'amertume d'un auteur qui observe en réaliste et que révolte l'imperfection de l'homme. Le cri de protestation du jeune Nušić est fort. Belgrade, capitale du pays, est pour lui une ville « où l'on mène toujours la même politique absurde, où l'on trouve toujours cinquante professeurs contre quatre cents gendarmes, dix écoles pour douze casernes, et encore un hôpital pour deux cimetières ». Pourtant, ce n'est pas la satire mais le comique qui fut son meilleur atout, et il fera triompher l'humour serbe sur la scène. Toutes ses comédies ont pour thème la société serbe et surtout la famille. Celle-ci menait une existence citadine, mais son origine paysanne la trahissait. Elle n'essayait même pas de se détacher du passé, ni de la morale patriarcale qui reposait encore sur d'anciennes conceptions de l'honnêteté, du bien et du mal. La nouvelle vitalité bourgeoise n'était pas encore née. Mais les transformations sociales pénétraient sa tranquillité ; elles l'inquiétaient et l'irritaient. Ce premier contact du petit bourgeois et de la politique est donc d'essence comique.
Nušić illustre le développement de la petite bourgeoisie et les conséquences de ces transformations sur la paix familiale dans la comédie Svet (1905, Le Monde). Il y montre comment l'entourage exerce son influence néfaste sur la famille, qui porte en elle une contradiction et une source de drame plus profondes que dans les pièces précédentes. Elle n'a plus la solidité patriarcale d'antan. Emportée par les événements, elle supporte de dures épreuves, étant incapable de s'adapter aux nouveautés et de retrouver en elle-même son harmonie perdue. Son drame interne apparaît comme le résultat de facteurs extérieurs. La comédie Gospodja ministarka (1929, La Femme du ministre), dont l'action se rapporte à l'ancienne époque, marque en quelque sorte un tournant dans l'œuvre de Nušić. Jusqu'alors, le drame familial était enfermé dans ses propres limites ; à partir de là, ce rapport se modifie ; la famille devient la cellule importante et active de la société. Elle essaie consciemment de se mettre au rythme de la vie moderne et même de participer à des événements d'ordre social. Auparavant, les familles du Député, d'Une personne suspecte et de La Protection servaient de cadre, d'arrière-plan, au drame social. Dans Le Monde, la famille devient une victime de la société et, enfin, dans La Femme du ministre, la famille transforme ses problèmes particuliers[...]
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Écrit par
- Milivoje PEJOVIC : docteur d'État ès lettres
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