NUŠIĆ BRANISLAV (1864-1938)
De la morale patriarcale à l'aliénation sociale
Nušić a écrit dans sa jeunesse : « De nos cendres germeront d'autres hommes, avec d'autres habitudes, d'autres sentiments et d'autres pensées. Nous les sentons déjà en nous, mais nous ne sommes pas ce qu'ils seront. » Cependant lui-même a bien connu ces autres hommes et en a fait les personnages de ses comédies. Cette société serbe de l'entre-deux-guerres, en Yougoslavie, était radicalement neuve pour Nušić, c'était la société bourgeoise moderne. Dans ses comédies de cette époque, dont les plus importantes sont Ožaloščena porodica (La Famille en deuil), Pokojnik (Le Défunt) et Vlast (Le Pouvoir), pièce inachevée, la psychologie des personnages est caractérisée par l'avidité pour l'argent. L'argent, pour tous les personnages, est le régulateur des rapports et la règle des vertus, il est le facteur principal des conflits sociaux et des drames personnels. La famille se montre à présent tout à fait matérialiste. La Famille en deuil nous fait voir de quoi l'homme est capable. Les membres de cette famille vont même jusqu'à s'inventer des liens de parenté, à se proclamer les cousins du mort, à le pleurer et à porter le deuil uniquement dans l'espoir sordide d'hériter. La fausse richesse et les pleurs simulés règlent les affaires et marquent la déchéance morale de la famille, mais pas encore sa désagrégation totale. C'est dans Le Défunt que Nušić montre pour la première fois une rupture complète des liens familiaux de la société serbe. Ici le mariage est une formalité sociale nécessaire, une liaison conforme aux convenances, où, en sauvegardant la face, les conjoints obtiennent la liberté complète. Mais cette famille nouvelle se caractérise par des principes qui n'ont rien de commun avec les normes de l'éthique traditionnelle, car l'argent donne impérativement un sens à tout, en justifiant une morale inhumaine et absurde. L'argent remplace l'homme et le droit prend une nouvelle signification, il n'a plus pour but de régler les relations entre les hommes mais entre les affaires. L'argent est le facteur le plus important qui différencie les hommes d'un même groupe. Dans cette lutte qui a pris un aspect immoral et cruel, l'auteur n'a plus la force de se battre contre les spectres qui la provoquent et, avec un sourire amer et ironique, il laisse tomber le rideau sur une société qui a perdu ses principes humains.
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Écrit par
- Milivoje PEJOVIC : docteur d'État ès lettres
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