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BRANTÔME (1537?-1614)

L'enfance de Pierre de Bourdeille, seigneur de Brantôme, s'était passée à la cour de Navarre ; puis, après d'assez bonnes études à Paris et à Poitiers, nommé tout jeune encore abbé commendataire de Brantôme par Henri II, sa vie s'était partagée en plaisirs de cour et de ruelles ; en voyages d'agrément, dont il aimait les surprises ; en expéditions militaires, où il sut se comporter en brave, jusqu'en cette année 1584, qui fut fort néfaste, puisqu'au début de l'été il perdit son maître, dont il était chambellan — et qui n'était rien de moins que Mgr le duc d'Alençon, héritier éventuel de la couronne de France — et qu'au début de l'automne, tandis qu'il chevauchait, il fit une chute de cheval si malencontreuse qu'il dut garder la chambre pendant plus de dix-huit mois.

Ce malheur eut du bon néanmoins pour les lettres françaises, car, renonçant à son projet d'offrir ses services à Philippe II d'Espagne, notre Périgourdin, ne pouvant recouvrir sa vie alerte d'antan, se résolut à écrire ses mémoires. Pendant les trente années qui lui restaient à vivre, M. de Brantôme ne quitte plus guère sa province que pour de hâtifs déplacements. Puis il fait définitivement retraite dans ses terres, où, tantôt dans son abbaye, tantôt dans la maison des Bourdeille, tantôt dans son château de la Tour-Blanche, tantôt enfin dans la seigneuriale demeure de Richemont, il conte et rédige, ou dicte, en songeant à ses belles années, « ces jeunes ans, auprès desquels tous empires et royaumes ne sont rien ».

Que de souvenirs lui reviennent alors, souvenirs de faits d'armes ou d'histoires galantes, où il a joué un rôle ! Que d'événements en moins d'une trentaine d'années !

Dans ces divers recueils, tous écrits à la cavalière et généralement connus, depuis le xviie siècle, sous le titre Les Dames galantes, on trouve, en effet, presque à chaque page, le charme d'un mémorialiste à l'humeur primesautière, toujours léger, parfois grivois, qui préfère à tout les anecdotes et qui en parsème ses œuvres avec un rare bonheur d'expression.

Ceux qui ne demandent à un conteur que de bien conter, à un peintre des mœurs que de bien les peindre, ont toujours reconnu que l'auteur de tant de beaux « discours » était sans conteste le plus remarquable témoin de cette cour des Valois, à la fois ardente et frivole, brutale et raffinée, fanatique et légère. Du témoin, Brantôme a le scepticisme de pensée, l'indépendance de caractère, l'indifférence, mais non point blasée, et cette sorte de dilettantisme, comme on dira plus tard, qui permet, en ne croyant à rien, de s'intéresser à tout. Ce Périgourdin, qui a tant voyagé, était mieux fait que quiconque pour narrer la « petite histoire » de la haute société de son temps.

De cette société, on a pu reprocher à Brantôme de n'avoir guère dépeint que les dehors ; on l'a trouvé « superficiel ». Le reproche n'est pas vraiment mérité. En vérité, le peu de goût qu'avait Pierre de Bourdeille pour la morale rejoint sa curiosité native et cet amour du pittoresque qui confère tant d'intérêt à son œuvre et qui fait que celle-ci se déroule comme une tapisserie somptueuse et minutieusement colorée.

La langue de Brantôme est parlée beaucoup plus qu'écrite, mais par un conteur qui trouve d'instinct le terme pittoresque et le mot juste, et qui a naturellement le tour aisé et vif. « Sa phrase gauloise, a dit Henri Bouchot, railleuse et impudente, donnant le mot cru sans trop de rougeur aux joues, est bien celle du soldat de France, bon compagnon, conteur malicieux, mais point sanglant et bas... » Du soldat, dit Bouchot ; ajoutons : et du courtisan. Usant d'un vocabulaire dru, riche et divers, où se fondent des apports latins et grecs, italiens et espagnols,[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, président de la Société des amis de Montaigne

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