BRAQUE GEORGES (1882-1963)
Braque et Picasso
Braque progresse désormais dans ce que l'on nomme le précubisme ou cubisme cézannien durant toute l'année 1909. À propos de Port en Normandie (The Art Institute, Chicago), Vauxcelles parle cette fois de « bizarreries cubiques ». Dans cette toile comme dans les différentes versions du Château de la Roche-Guyon (Moderna Museet, Stockholm), Braque prend conscience de ce que l'espace entre les objets, les intervalles ont autant de valeur picturale, de force plastique, que les formes elles-mêmes. Aussi densifie-t-il les vides, pour unifier formes et fonds, en liant, comme il le dit, l'« espace à son contenu ».
Avec Picasso, qu'il fréquente de plus en plus, il constate qu'à travers leurs deux recherches parallèles se définit un même projet ; ils décident alors de mettre en commun leurs expériences.
En 1910, Braque s'installe rue Caulain-court et passe l'été à l'Estaque. Ses liens avec Picasso se resserrent. En 1911, ils séjournent tous les deux à Céret (Le Portugais, Kunstmuseum, Bâle), l'Homme au violon (coll. E. G. Bührle, Zurich). En 1912, ils passent l'été à Sorgues ; Braque y prolonge, par l'invention du papier collé (Composition et verre, coll. part.) et tout aussi radicalement, le collage découvert en avril par Picasso Nature morte à la chaise cannée). Il apporte ainsi au cubisme la dimension qui lui manquait, celle de la couleur. Si le papier collé entérine l'abandon du ton local et marque la première dissociation de la forme et de la couleur, il a surtout pour effet de renouer avec la couleur. Ainsi, tandis que Picasso s'intéresse à l'espace et à la forme, Braque réaffirme ses préoccupations de coloriste.
De cette communauté, il faut retenir ce que la contribution de Braque a d'essentiel. Le premier, il introduit la lettre d'imprimerie dans la peinture, d'abord en trompe l'œil (Le Pyrogène, 1910, coll. part.), puis, par l'intervention concrète du pochoir (Le Portugais). Le premier, encore, il a recours au peigne à peindre le faux bois et à la technique du faux marbre dans la peinture, comme il ajoutera du sable, de la sciure ou de la limaille de fer à la matière picturale (Compotier, bouteille et verre, 1912, coll. part.). Ces inventions sont considérables en ce qu'elles désacralisent le « faire » de l'artiste et renversent fondamentalement le rapport à la réalité comme modèle, en mettant un terme au primat du rendu illusionniste.
Braque, comme Picasso, s'isole alors d'une école cubiste naissante. Il participe en Allemagne aux expositions de la Sonderbund et du Blaue Reiter en 1912, à l'Armory Show en 1913.
Le papier collé marque aussi la première réaction aux dangers d'une analyse excessive, conduisant à un hermétisme proche de l'abstraction. En 1913 et en 1914, Braque rétablit synthétiquement le volume par une restructuration des éléments de l'analyse en une composition cette fois concentrée et quasi volumétrique (Homme à la guitare, 1914, coll. part., Paris).
C'est à Sorgues, où il travaille non loin de Picasso, que la guerre le surprend et le contraint à interrompre cette « reconstruction » de l'objet. Deux expositions cette même année lui avaient cependant permis de se faire connaître en Allemagne, à Dresde et à Berlin.
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Écrit par
- Dominique BOZO : directeur du Musée national d'art moderne
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