BRAQUE GEORGES (1882-1963)
Natures mortes et séries
Blessé en 1915 sur le front d'Artois, Braque est trépané ; il reste à hôpital jusqu'en 1916. Le dialogue avec Picasso, alors en Italie, est interrompu ; son marchand Kahnweiler a quitté la France. Braque, après une longue convalescence à Sorgues, reprend difficilement la peinture ; il est alors influencé par Gris et Laurens avec qui débute une profonde amitié. La Grande Musicienne (Kunstmuseum, Bâle) marque la fin du cubisme synthétique. Braque commence en 1918 la rédaction de ses « propos » que publie Reverdy dans les Cahiers du Sud. Mais 1918 marque surtout le retour au thème des natures mortes au guéridon. Désormais, Braque aère ses compositions et les situe davantage dans un espace ouvert et en profondeur. Le cubisme perd de sa structure au profit d'une écriture plus picturale. Dans Café-Bar, 1919 (Kunstmuseum, Bâle), l'espace acquiert aussi une complexité nouvelle, les tons se superposent et jouent entre eux, formes et couleurs se correspondent de nouveau.
La série des Guéridons de 1918-1919 marque une amplification du thème et son développement dans un espace en profondeur où s'inscrit une composition à dominante verticale. Ici, le dessin n'intervient plus comme support de l'analyse intellectuelle, mais comme structure d'un ensemble. Un nouveau processus pictural s'élabore peu à peu dans lequel la peinture, qui ne sert plus à souligner la puissance expressive des objets, acquiert une autonomie plastique propre ; elle tend à ce que Braque appelle le « fait pictural ».
Outre les compositions au guéridon apparaissent deux nouveaux thèmes caractéristiques de cette période : les cheminées et les canéphores. La « tactilité » de ces toiles ne tient plus à l'impression d'une proximité quasi manuelle des objets mais à la matérialité d'une peinture faite de pâte épaisse aux tons sévères, gris, verts, bruns, soutenus par une préparation mate, noire ou grise.
Les cinq Cheminées, peintes entre 1920 et 1927, sont de vastes projets monumentaux dans lesquels les formes ont gardé la puissance dynamique du cubisme. Construites verticalement, parfois en perspective désaxée, elles révèlent un espace tridimensionnel comportant deux zones : partie haute et partie basse, plus ou moins dense (La Cheminée, coll. Florence Marx, Schoenborn). Le faux marbre est rendu ici par grandes touches directes, vigoureuses, qui concernent aussi bien les objets eux-mêmes que l'espace qui les baigne.
L'autre série de toiles de cette époque – les figures allégoriques dites Canéphores (1922-1926), influencées par les Baigneuses de Renoir – sont significatives de la brève approche naturaliste de Braque. Le dessin y a perdu la sécheresse linéaire du cubisme au profit d'une arabesque ample, inscrite sur la couleur plutôt qu'à son contour. Cette ligne plus spontanée donne davantage de contrastes aux formes du corps dont elles soulignent la volupté. Elle marque surtout l'élimination définitive de la rigidité mentale du cubisme et le parti pris d'un espace d'une complexité accrue, et de sa représentation strictement picturale (Art Museum, Dial. Coll., Worcester ; coll. Claude Laurens, Paris).
En 1928, Braque entreprend une nouvelle série de Guéridons dans laquelle il renoue avec l'espace environnant, faisant jouer les structures du meuble avec celles des lambris d'angle de la pièce (Grand Guéridon, 1929, The Philipps coll., Washington). Cette identification de l'espace est assortie d'un allégement de la matière picturale. Les couleurs sont diluées ; elles jouent avec la texture du sable ou de la sciure avec lesquels elles se mélangent, rappelant ainsi la fresque.
Ces quatre Grands Guéridons concluent cette période où triomphe la couleur claire, mais qui consacrent la maturité de Braque. C'est le moment où, pendant l'été, il abandonne[...]
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Écrit par
- Dominique BOZO : directeur du Musée national d'art moderne
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