ELLIS BRET EASTON (1964- )
Avec la parution, en 1990, de son sulfureux roman American Psycho, et le scandale qu'il provoqua, le jeune écrivain américain Bret Easton Ellis parvint à faire de son nom le « logo » d'une époque : les années Reagan, qui venaient de se clore.
Cinq ans plus tôt, déjà – il avait tout juste vingt et un ans –, il avait écrit un bref mais remarquable récit qui reste un peu le Bonjour Tristesse de cette génération : LessThanZero(1985 ; Moins que zéro). On est encore ici assez proche de l'autobiographie : Clay, comme l'auteur, est né en 1964 – Bret Easton Ellis est né le 7 mars de cette année-là –, à Los Angeles, dans un milieu aisé. Il est en première année d'université à l'autre bout du pays, sur la côte est des États-Unis : un campus au milieu des bois, dans la neige et la boue, où l'on reconnaît sans mal Bennington, dans le Vermont, où Ellis a étudié. C'est également sur la côte est, mais cette fois dans le New Hampshire que l’écrivain situera son roman suivant, The Rules of Attraction (1987 ; Les Lois de l'attraction).
Dans LessThanZero, Clay rentre à Los Angeles pour ses premières vacances de Noël. Il retrouve sur Mulholland Drive sa luxueuse maison, sa piscine jonchée de feuilles mortes. Puis, on le voit « zoner » au volant de la voiture familiale dans Wiltshire Boulevard, Santa Monica, Sunset Boulevard. Il retrouve ses copains « d'avant ». Pauvres gosses de riches, à l'abandon : ils ont « tout ». Mais, comme dit Elvis Costello (l'idole d'Ellis vers 1977, à l'époque de son adolescence punk) dans la chanson à laquelle le livre emprunte son titre : « Tout, c'est moins que zéro ».
Clay observe des scènes de prostitution masculine, de coït ; il assiste à la projection d'un snuff movie dans une grange – le tout en maintenant une distance qui est aussi un peu son rempart, sur un mode étrangement détimbré, presque schizophrénique, comme si L'Étranger (1942) de Camus avait été revu selon l'esthétique de ces clips que Clay regarde sans cesse sur la toute récente chaîne de télévision MTV. En 1994, le recueil de nouvelles The Informers (trad. franç. Zombies) dépeint à son tour cette « cité des anges » des années 1980 à travers différents portraits de personnages aussi désœuvrés que privilégiés.
American Psycho se présente comme le journal intime d'un jeune dandy à Manhattan – une variation sur ce qui fut, avec le serial killer, une figure clé des années 1980 : le trader de Wall Street, le golden boy, le « maître du monde ». Il s'appelle ici Patrick Bateman – un peu comme Batman, l'homme chauve-souris, l'aristocrate qui se transformait nuitamment en vengeur patrouillant dans les bas-fonds de « Gotham City », mais avec aussi un écho de Norman Bates, le tueur psychopathe du Psycho (1960 ; Psychose) de Hitchcock.
Patrick Bateman, beau garçon d'excellente famille, frais émoulu de la Business School de Harvard, et « superbe étalon », aurait pu être mannequin « pour Calvin Klein ». On le voit au saut du lit enfiler son short brodé Ralph Lauren, passer une Rolex à son poignet, se faire un shampooing Vidal Sassoon, comme si le récit s'organisait à partir d'un défilé de marques. Puis, chaque jour, il déjeune dans les meilleurs restaurants de la ville. Il virevolte dans le cercle doré de Manhattan, tandis que dehors, c'est la jungle urbaine et ses « misérables », la sébile à la main.
La fracture, toutefois, n'est pas que sociale ; comme dans le récit de Stevenson, L’Étrange Cas du docteur Jekyll et de M. Hyde (1886), elle passe à l'intérieur de la personnalité schizoïde du héros. Périodiquement, Bateman se transforme en Jack l'Éventreur new-yorkais, et c'est une escalade de meurtres, de viols, d'éviscérations. Le livre a souvent été lu au premier[...]
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Écrit par
- Pierre-Yves PÉTILLON : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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Média