BREVET D'INVENTION
Brevetabilité du vivant
La philosophie classique du brevet peut s'exprimer dans un « donnant-donnant » : d'un côté, l'inventeur est incité à créer dans l'espoir de faire fortune, de l'autre, le public y trouve son compte car, non seulement le progrès est en marche, mais encore les inventions sont libres de droit après vingt années d'exploitation. Dans cette mesure, le brevet serait cette institution quasi miraculeuse qui transformerait le capital en bien-être.
Si cette philosophie a, à peu près, correctement fonctionné, sans conflit éthique majeur, jusque dans les années 1980, les progrès de la biologie ont bouleversé toutes les données, apportant un caractère inédit à la conjonction de la science, de l'économie et du droit. Un champ immense et insoupçonné s'est ouvert : la nature animée – c'est-à-dire le « vivant » ou, plus techniquement, la « matière biologique » – a pu faire l'objet d'inventions, pour autant que l'inventeur fasse preuve de nouveauté, d'activité inventive et qu'une application industrielle puisse être déterminée. D'où la question : peut-on, par le biais d'un brevet, se rendre propriétaire de ce qui était jadis inappropriable ? Peut-on accaparer le vivant ? En réalité, nous sommes aujourd'hui au tout début de cette histoire qui met aux prises deux conceptions de l'homme et du droit : soit on estime qu'il existe des choses hors commerce – des races animales ou les gènes humains, par exemple – pour des raisons éthiques ou de connaissance, soit, au contraire, on estime que le vivant est une matière comme une autre et qu'il suffit que l'homme l'ait « travaillée », c'est-à-dire arrachée à son état naturel, pour en faire sa propriété. En d'autres termes, soit on entend le vivant comme un patrimoine commun qui appartient à l'humanité tout entière, soit on l'entend comme un fonds d'exploitation, et donc d'investissements, alors susceptible de faire l'objet d'un monopole.
Les pressions insistantes du marché
En l'état, nous sommes, apparemment, sur le fil du rasoir. On a le sentiment contradictoire qu'une résistance humaniste s'organise – comme en témoignent, par exemple, la Convention du Conseil de l'Europe du 4 avril 1997 et son Protocole additionnel du 12 janvier 1998 interdisant le clonage humain et toute modification du patrimoine génétique – mais que, parallèlement, les biotechnologies avancent irrésistiblement. Bref, tous les interdits tombent, les uns après les autres, après quelques « barouds d'honneur ».
Le Parlement britannique a ainsi été le premier à autoriser, par une loi du 23 janvier 2001, le clonage à des fins scientifiques et thérapeutiques, permettant notamment d'énucléer un ovocyte et d'y transférer le noyau d'une cellule du patient pour fabriquer des cellules qui seraient compatibles avec son système immunologique. Quant aux États-Unis, les financements fédéraux ont été limités en 2001 aux seules recherches portant sur une vingtaine de lignées de cellules embryonnaires humaines. Mais l'absence de loi fédérale fait que les laboratoires privés ou des États comme la Californie mènent d'ores et déjà des recherches sur des embryons humains conçus in vitro, pour cultiver des lignées cellulaires qui permettraient des thérapies.
Mieux encore, les capitaux investis dans les biotechnologies rendent le processus quasi irréversible. Les inventions, par leurs promesses de profit, engendrent des investissements qui, en retour, engendrent des avancées technologiques, lesquelles ne seront rentables qu'à la condition d'être protégées par le droit. D'où l'importance considérable du brevet qui confère à son titulaire le monopole d'exploiter son invention pour une durée de vingt ans. Entre[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Jacques AZÉMA : agrégé des facultés de droit, avocat au barreau de Paris
- Bernard EDELMAN : avocat à la cour, docteur en droit
- Michel VIVANT : agrégé des facultés de droit, professeur à l'Institut d'études politiques de Paris
Classification
Autres références
-
BREVET SUR UN O.G.M.
- Écrit par Nicolas CHEVASSUS-au-LOUIS
- 198 mots
Au début des années 1970, le microbiologiste indien Ananda Chakrabarty invente, pour le compte de la General Electric Company, une bactérie génétiquement modifiée capable de dégrader les hydrocarbures. Le brevet qu'il demande lui est alors refusé, conformément à la jurisprudence (Plant Patent...
-
CONTREFAÇON
- Écrit par Alain BLANCHOT , Albert CHAVANNE et Daniel HANGARD
- 9 806 mots
Laprotection des brevets résulte des lois des 7 janvier 1791, 5 juillet 1844, 2 janvier 1968, 13 juillet 1978, 27 juin 1984 et 26 novembre 1990. Les dessins et modèles ont été protégés par la loi du 11 mars 1902 pour les dessinateurs d'ornement, puis par celles du 14 juillet 1909 et du 12 mars 1952... -
ÉCONOMIE INDUSTRIELLE
- Écrit par Bruno JULLIEN
- 9 097 mots
- 1 média
En premier lieu, la législation sur les droits de propriété intellectuelle, en particulier les brevets et les copyrights, confère des droits exclusifs à un inventeur sur l'exploitation de son innovation. Ce dernier est libre d'exploiter seul son innovation ou de la diffuser en accordant des licences... -
INVENTION
- Écrit par Abraham MOLES
- 3 371 mots
- 1 média
...l'esprit, tantôt le résultat de ce processus, tantôt la description d'un objet. C'est cette description, dûment mise en forme et légalisée, qui deviendra un brevet d'invention, c'est-à-dire un texte enregistré par la puissance juridique, rendu public et dont, par là, la propriété est attribuée à un individu... - Afficher les 13 références