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BREYTENBACH BREYTEN (1939-2024)

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L’écrivain sud-africain Breyten Breytenbach, né le 16 septembre 1939 à Bonnievale (province du Cap), appartient à la communauté afrikaner, au même titre qu’André Brink ou J. M. Coetzee. Comme eux, il va rompre avec elle pour venir rejoindre à sa façon le monde de l'anglophonie.

Breytenbach étudie les beaux-arts au Cap avant de s’établir à Paris dans les années 1960. Là, il épouse une Française d’origine vietnamienne, ce qui, au pays de l’apartheid qui interdit les mariages interraciaux, lui barre toute possibilité de retour. Contrairement à d’autres écrivains qui ne se sont engagés que par la plume, il se lance dans le combat politique en participant, au début des années 1970, à l'Okhela, organisation qui soutenait les luttes de l'ANC (African National Congress) contre l'apartheid. Arrêté alors qu’il se trouvait clandestinement en Afrique du Sud, ses activités lui vaudront la prison, de 1975 à 1982. Libéré grâce à l’intervention de François Mitterrand, il regagne la France et adopte la nationalité française. Il se partage par la suite entre les États-Unis, la France et le Sénégal.

Cette expérience traumatisante va le marquer en profondeur et transformer son écriture. Il rejoint alors le genre, malheureusement abondant au pays de l'apartheid, de la littérature des prisons, de Herman Charles Bosman à Dennis Brutus, de Alex La Guma à Albie Sachs et Nelson Mandela. Pourtant, faire de lui « un écrivain de la prison » serait commettre une lourde erreur. Car, selon Breytenbach, nous sommes tous des condamnés à l'enfermement à vie, dans les cellules de nos peurs intérieures. Cela ne l'empêche nullement de témoigner (il a passé deux années dans le couloir des condamnés à mort), et de décrire dans Confession véridique d'un terroriste albinos (1984) le quotidien de cet espace carcéral, pour en montrer toutes les cruautés, tout le système social mafieux qui y sévit. Puis vient la peinture d'une relation perverse entre les « Boers » (matons) et leurs victimes désignées : nous assistons, dans ces pages frémissantes d'émotion et de rage, à une lente descente aux enfers.

Or, si la langue est un espace de liberté, elle est également un lieu d'enfermement. L'afrikaans, c'est aussi la langue du « Baas » (maître). C'est contre elle que l'écrivain va retourner toute sa violence. Son ami André Brink (tous deux participèrent aux Sestigers, mouvement qui se voulait iconoclaste dans le monde alors feutré de la littérature afrikaner) n'hésite pas à dire, dans sa Préface au journal publié en 1981, Une saison au paradis (1977-1980) : « La façon dont Breytenbach manipule l'afrikaans tient d'une prouesse pyrotechnique. » La syntaxe, l’ordonnancement poli des mots, la ponctuation qui empêchent la pleine respiration de la page sont malmenés. L'écriture se déroule ici comme une perpétuelle errance. Ainsi dans Mémoire de poussière et de neige (1989) : « le croiriez-vous ? Je ne sais pas où je vais ». On va donc trouver dans ce livre, comme dans d'autres, des dialogues, poèmes, débats philosophiques et politiques, scénarios de films, en un désordre anarchisant. Un peu plus tôt, dans les Confession d'un terroriste albinos, Breytenbach nous avait prévenus : « écrire, c'est comme lancer un navire sombre sur une mer noire. Il faut laisser filer. Il faut suivre ». Quant à la poésie, elle est « un mécanisme de survie » (Feuilles de route, 1986). L'écriture, entre ses mains, devient une nativité perpétuelle, un antique dialogue entre Éros et Thanatos. C'est autour de cette notion d'évacuation, que l'on retrouve dans Mouroir, notes miroir pour un roman (1983), que gravite cet art d'écrire : vomissements, purges et défécations. Les images de putréfaction abondent, au travers d'une sorte[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université Paul-Valéry, Montpellier
  • Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Autres références

  • AFRIQUE DU SUD RÉPUBLIQUE D' ou AFRIQUE DU SUD

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    • 29 789 mots
    • 28 médias
    ...auteur de Kitaar my kruis (1961), ne peut être reçu à l'Académie ; l'engagement politique (betrokkenheid), avec l'emprisonnement de Breyten Breytenbach (1939-2024). La rupture avec la tradition poétique est annoncée dès 1956 par Jan Rabie (1920-2001) dans son recueil Een-en-twintig...