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PARAIN BRICE (1897-1971)

À l'origine de l'œuvre de Brice Parain se trouve moins une intuition qu'une déception. Très tôt, Parain découvre la profonde duplicité du langage : il est notre fatalité puisqu'il nous permet de communiquer. Mais il ne nous unit qu'en nous trahissant : il nous donne l'illusion que c'est nous qui parlons, alors que nous ne livrons au monde que notre part la plus impersonnelle, la seule susceptible d'être dite. Ainsi le langage ne fonde pas le moi mais le traverse et le soumet à son ordre. Comment empêcher que les mots composent à côté du monde un univers parallèle où l'idée de la chose se substitue à cette chose même ? C'est à cette question que Parain va s'efforcer de répondre, et d'abord dans ses Recherches sur la nature et les fonctions du langage (1942), où il étudie les principaux systèmes philosophiques qui prétendent livrer le sens du réel sans se préoccuper de la parole qui fonde leur vérité. Surtout, Parain combat le mouvement de la pensée dialectique (notamment dans Sur la dialectique, 1953), qui constitue pour lui le moment le plus grave de la servitude à laquelle le langage réduit l'homme. C'est la dialectique qui, approfondissant le décalage qui existe entre le réel et les mots, entraîne l'être dans un mouvement de contestation infini de soi par soi, à partir duquel il n'est plus de vérité dernière qui serait aussi achèvement.

Toute l'œuvre de Parain tend à démasquer cette perversité foncière qui distrait l'homme du réel. À cela, Parain oppose ce qu'il nomme la logique, soit l'intrusion du monde dans le langage et la suspension, fût-elle momentanée, de la dialectique. La logique définit un parcours : celui d'une expérience, confrontée à la durée. Elle est l'effort que chacun accomplit en vue d'établir un rapport au monde qui soit le plus juste possible. Elle réhabilite par conséquent les notions de but et de vérité. Les livres de Brice Parain se veulent la recherche permanente de principes assez élémentaires pour permettre une connaissance objective : partagée par la communauté entière, celle-ci se montrerait capable de la réconcilier avec elle-même. À ce titre, l'autobiographie De fil en aiguille (1960) est sans doute l'ouvrage où il nous est le mieux donné de suivre l'itinéraire d'une conscience s'élaborant peu à peu en accord avec le temps et la mémoire. Livre jalonné par les moments où le langage a cessé d'être une énergie dispersante, que ces moments soient purement individuels (le silence de la campagne et la découverte d'un accord entre le geste et l'espace qui rendait la parole superflue) ou pris dans l'histoire : la Première Guerre mondiale, l'U.R.S.S. où se rendit l'auteur immédiatement après la révolution, lorsque l'urgence des faits exigeait une disponibilité qui, là aussi, atténuait le pouvoir des mots.

Un des paradoxes de l'œuvre de Parain est que, se tournant contre le langage par désir d'un silence qui serait pur acquiescement au monde et à Dieu, il lui ait fallu pour convaincre recourir à des écritures très diverses : non seulement l'essai (Petite Métaphysique de la parole, 1969), mais le roman (La Mort de Socrate, 1950), l'autobiographie ou le théâtre, avec chaque fois le même besoin d'aider l'homme à renverser la loi du langage. De telle sorte que, le gouvernant au lieu de lui être soumis, il ne voit plus dans les mots l'énoncé d'une certitude mais une promesse à tenir. Il s'agirait alors de mieux parler pour mieux vivre.

— Gilles QUINSAT

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