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BRITANNICUS, Jean Racine Fiche de lecture

Les larmes de Junie

Junie, dans cette pièce, est au centre des regards, physiquement seule face à Néron. C'est par elle que la crise commence dans la mesure où Agrippine vient, toutes affaires cessantes, frapper à la porte de son fils, tôt le matin, pour l'interroger sur l'emprisonnement de Junie. Quatre actes passeront avant qu’Agrippine rencontre l’empereur, pour tenter en vain de lui imposer sa puissance perdue. C'est Junie qui donne lieu au fantasme superbe que Néron expose en mêlant totalement la passion du pouvoir et la pulsion amoureuse : « Excité d’un désir curieux,/ Cette nuit je l’ai vue arriver en ces lieux,/ Triste, levant au ciel ses yeux mouillés de larmes,/ Qui brillaient au travers des flambeaux et des armes,/ Belle, sans ornements, dans le simple appareil/ D’une beauté qu’on vient d’arracher au sommeil » (II, 2).

C'est donc par Junie que Néron convertit sa passion politique en passion amoureuse dévorante ; décidé à l'emprisonner pour des raisons politiques, il la maintient à présent sous son pouvoir pour des raisons amoureuses. C'est elle qui se voit transportée sur la scène, sous les regards de Néron qui l'épie, lui interdit tout discours, veut manœuvrer son esprit, son âme et son corps en sa faveur. À tout cela, Junie n’oppose d’abord que ses pleurs. Elle devient une proie, la représentation tangible du désir de passion tourné vers la jalousie et la haine, fasciné par son propre pouvoir. À ceci près que Junie, par la souffrance, apprend vite les secrets du théâtre. Au point qu’elle en arrive à jouer le propre jeu de Néron en le faisant souffrir à son tour ; au point surtout qu'elle sait finalement se défendre par les larmes. Néron peut exiler ou détruire ses proches, il ne peut aller contre la volonté de Junie de se réfugier chez les Vestales, entendons : auprès de Dieu.

Là seulement, les « regards effarés » du tyran resteront impuissants. En communion avec le peuple comme une héroïne chrétienne, Junie est protégée par lui dans son désir d'adorer le Seigneur et de se soustraire au Mal. Au Mal représenté sur la scène, s’oppose donc le Bien, hors scène. Mais il faudrait être bien naïf pour ne pas supposer un seul instant que, même au xviie siècle, le spectacle de Néron prenant du plaisir à voir pleurer Junie n'a point quelque intérêt. Le théâtre reste ce qu'il est : une représentation contradictoire qui cherche dans les causes et les effets une complexité qui, souvent, s'écarte de toute démonstration morale.

— Christian BIET

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

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