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CHATWIN BRUCE (1940-1989)

De sa vie Bruce Chatwin fit peut-être le meilleur de ses romans et de lui-même le plus captivant de ses personnages. Avant même sa mort précoce, il était devenu l'objet d'une légende. Ses errances à travers le monde, d'Afrique en Patagonie, d'Inde et d'Afghanistan en Australie, le tourment qui l'habitait et transparaissait dans ses yeux bleu clair, sa beauté, patricienne disait-on, sa vitalité et sa séduction – « il était impossible en sa compagnie de ne pas sentir que la vie s'accélérait », écrivait son ami, l'écrivain Colin Thubron –, tout cela, joint à une gloire littéraire rapide, enflamma l'imagination du public. On vit en lui le descendant de lord Byron, l'héritier d'une lignée de nobles aventuriers auxquels les frontières de leur pays parurent trop étroites.

Il avait une histoire familiale romanesque, une ascendance de « vagabonds fous d'horizon qui avaient éparpillé leurs ossements dans tous les coins de la planète » : l'un était allé vivre en Patagonie, l'autre dans un camp de chercheurs d'or dans le Yucca, un troisième avait trouvé refuge dans un port d'Extrême-Orient ; « oncle Walter, lui, était mort en chantant les sourates du glorieux Coran dans un hôpital du Caire réservé aux hommes saints ». Sa propre destinée sortait du commun, autant que celle des excentriques qu'il croisa de par le monde et prit pour personnages. Son père, officier de la Royal Navy, était toujours en mer. Né en 1940, dans l'Angleterre du temps de guerre, Bruce Chatwin n'eut pour maison, durant les cinq premières années de sa vie, qu'une valise noire dans laquelle il se réfugiait lorsque les bombes commençaient à tomber. Suivit une enfance itinérante en Grande-Bretagne (en particulier le pays de Galles où il se rendit en compagnie de son père et de son frère et qui servit de décor à son troisième roman, Les Jumeaux de Black Hill). À dix-huit ans, il entra comme porteur chez Sotheby's. Mais il ne tarda pas à quitter ce poste subalterne pour devenir expert et, bientôt, directeur du département des Impressionnistes. Son coup d'œil était sans défaut. « J'étais un de leurs poulains favoris. On me prédisait une brillante carrière pourvu que je joue le jeu. » Or, un matin, il se réveilla aveugle. Il ne devait recouvrer la vue que sur le chemin de l'aéroport, son ophtalmologiste lui ayant conseillé de laisser les tableaux pour de plus vastes horizons. Il était en route pour le Soudan. À vingt-quatre ans, lassé du « monde de l'art » et, plus généralement, de la vie en société, Bruce Chatwin allait avoir près de la mer Rouge la révélation de son destin de nomade et le pressentiment des théories qui devaient le justifier : l'homme était à l'origine une espèce migratrice. Abel, le vagabond, était dans le vrai ; Caïn, qui fonda une ville, était un traître. La sédentarité s'accompagnait de tendances au carriérisme, à l'avidité. à l'obsession de la nouveauté. The Nomadic Alternative prit forme alors que Bruce Chatwin, après un séjour à l'université d'Édimbourg où il étudia l'archéologie, sillonnait le monde en compagnie de tribus nomades, un carnet de notes à la main.

En 1974, il quittait le poste qu'il occupait au Sunday Times depuis trois ans et, saisi à nouveau de « l'appel trouble du vagabond dans l'âme », il partait pour la Patagonie. Sa carrière d'écrivain commençait. Le livre qu'il publia peu après (En Patagonie, 1977) était moins un récit de voyage qu'une exploration rêveuse de la mémoire et de l'histoire. Né d'un rêve d'enfance, lié à la fascination d'un objet étrange venu du fond des âges – un morceau de peau couvert de poils roux qui avait appartenu, croyait-il, à un brontosaure –, le livre correspond à la recherche « maniaque »[...]

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