COQUATRIX BRUNO (1910-1979)
Passionné de spectacle, Bruno Coquatrix n'était pourtant pas ce qu'on appelle un « enfant de la balle ». Né le 5 août 1910, à Ronchin, dans le Nord, il avait perdu son père à l'âge de six mois et, pour subsister, sa mère dut ouvrir une mercerie à Neuilly. Petites gens, petits moyens, Bruno poursuit cependant ses études au lycée. C'est là, à Pasteur, qu'il découvre la musique, les variétés, le jazz. Il joue du saxophone et participe à un petit orchestre qui tente, un moment, de concurrencer les Collégiens de Ray Ventura. L'expérience tourne court ; Bruno, après son service militaire, reste cependant dans le métier. Il devient imprésario, s'occupe de Lyne Clevers, de Lucienne Boyer, de Pills et Tabet...
Cela ne lui suffit pas. La chanson le fascine. Le voilà auteur-compositeur. Il écrit, il écrit beaucoup ; plus de trois cent cinquante chansons, dont certaines, Clopin-clopant, Mon Ange, Dans un coin de mon pays ou Mon Cher Vieux Camarade Richard, deviendront des classiques, régulièrement remises au goût du jour et réinterprétées par de nouveaux artistes. Il produit aussi des opérettes à succès, une dizaine au total, dont Les Pieds Nickelés et Trois Faibles Femmes. Des productions inégales, pas toujours réussies, mais le bilan d'ensemble est positif : Bruno Coquatrix a imprimé sa marque dans la chanson française. Ce ne sont pourtant pas ses qualités d'auteur-compositeur qui le rendront célèbre. Il existait, boulevard des Capucines à Paris, une vieille salle créée par un touche-à-tout de génie, Joseph Oller (on lui doit notamment le pari mutuel). Une salle prestigieuse, la première sans doute à porter, dans la capitale, l'appellation de music-hall. Elle avait connu ses heures de gloire quand Jacques Charles y avait monté des revues avec Fragson, Polaire, Mistinguett et Yvonne Printemps... Des grands et des grandes y avaient chanté : Damia, Lucienne Boyer, Maris Dubas, Fréhel... Puis, en 1929, on l'avait transformée en cinéma. Durant la guerre, elle fut même réquisitionnée, d'abord par les troupes allemandes d'occupation, puis par les libérateurs américains.
En 1954, Bruno Coquatrix décide de lui rendre sa vocation première. Une gageure, à laquelle personne, dans la profession, ne croit. Mais l'audace paie. La salle est rénovée, modernisée, et Coquatrix en prend la gérance. Mené par lui, l'Olympia nouvelle manière va devenir un des plus célèbres music-halls du monde. Tous ceux qui comptent dans la chanson française ont, un jour ou l'autre, affronté les deux mille spectateurs de l'Olympia : Charles Aznavour, Guy Béart, Georges Brassens, Jacques Brel, Juliette Gréco, Léo Ferré, Claude Nougaro, Édith Piaf, Gilles Vigneault...
Par chance pour Coquatrix, le démarrage est rapide. Un pari téméraire, un petit scandale, un grand chahut et quelques sièges brisés vont rendre sa salle glorieuse du jour au lendemain. C'est que le directeur de l'Olympia a eu l'idée d'y accueillir la première véritable « idole » de la chanson française, « Monsieur 100 000 volts », Gilbert Bécaud. Avant Bécaud, on aimait, on admirait les grands interprètes. Bécaud fait naître un culte fou, semblable à celui que suscitent, parmi le public américain, des personnages comme Frank Sinatra. Pour Bécaud, on hurle, on déchire ses propres vêtements, on gémit, on s'évanouit et les « fans » tentent de débouler sur scène pour pouvoir approcher, toucher la nouvelle divinité.
Les incidents qui marquent le passage de Bécaud sont pour l'Olympia la meilleure des publicités. Toute la presse en parle, l'élan est donné. Dès lors, le vaisseau a pris la mer et va maintenir son cap. Le capitaine a du flair : Bruno Coquatrix sait, au bon moment, saisir les modes et les exploiter. Normal, d'ailleurs : il aime son métier, il est sensible à l'attrait de la nouveauté,[...]
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Écrit par
- Lucien RIOUX
: journaliste au
Le Nouvel Observateur
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