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LATOUR BRUNO (1947-2022)

Bruno Latour - crédits : Joël Saget/ AFP

Bruno Latour

Intellectuel de notoriété mondiale et figure de la pensée écologiste, Bruno Latour est né le 22 juin 1947 à Beaune (Côte-d’Or) dans une famille de la bourgeoisie vigneronne. Longtemps enseignant dans des écoles d’ingénieur, notamment à l’École des mines, où il rejoint le Centre de sociologie de l’innovation en 1982 après plusieurs passages aux États-Unis, il termine sa carrière comme professeur émérite associé au Médialab de Sciences Po Paris, mais il conduira jusqu’à sa mort des expérimentations pédagogiques sur les relations entre arts, science et politique au sein de cet établissement.

Un parcours atypique

Ce penseur éclectique, philosophe de formation et formé à l’anthropologie en Côte d’Ivoire, a suivi un parcours disciplinaire atypique. Il doit ses débuts de notoriété à des travaux de sociologie des sciences et son ouvrage de référence publié avec Steve Woolgar en 1979, LaboratoryLife: the Social Construction of Scientific Facts, qui a amené des débats importants autour du statut épistémologique des activités scientifiques. En reliant le mode d’existence des objets de savoir aux instruments qui les mesurent et aux rapports de force engagés dans la société, cette posture théorique a pour effet de constituer la science en un univers de croyances obéissant aux mêmes règles sociales que tout autre objet culturel. Si le système de pensée bactériologique a triomphé, ce serait ainsi en raison de l’action politique des adeptes de la révolution scientifique initiée par Louis Pasteur dans la transformation de la société, de sorte que les microbes fassent partie intégrante du corps social. L’imbrication forte des rapports de savoir et des rapports de pouvoir rend impossible toute démarcation a priori entre la science et la société, d’une part, et entre la nature et la culture, d’autre part.

Ce constat amène l’auteur à plaider dix ans plus tard que nous n’avons jamais été vraiment modernes puisqu’il en ressort un monde essentiellement composé d’êtres « hybrides » qui ne sont ni tout à fait naturels, ni tout à fait culturels. Le social est ainsi réductible à des réseaux sociotechniques complexes qui constituent le cœur d’investigation des théories de l’acteur-réseau qu’il défend aux côtés de Michel Callon et de John Law. Nous n’avons jamais été modernes, son Essai d’anthropologie symétrique, publié en 1991, déploie une analyse philosophique de ces concepts qui aboutit, dans sa version radicale, à confondre épistémologie et sociologie. Pour ses détracteurs, ce relativisme conduit à un monde social « plat », également indissociable d’un relativisme culturel amenant à faire douter de l’existence même de la réalité. Or, le cadre latourien ne part pas de l’existence d’un contexte a priori, il le déduit en suivant pas à pas les connexions qui s’établissent entre des entités hétérogènes, obligeant le chercheur à décrire les processus sans fin d’assemblages et de réassemblages des réseaux sociotechniques. Les théories de l’acteur-réseau occupent une place centrale dans le mouvement des science and technologystudies, bien que partiellement nuancées en 2005 par l’auteur lui-même dans un effort de fondation théorique. Son ouvrage Reassembling the Social: an Introduction to Actor-Network-Theory, publié en français l’année suivante sous le titre Changer de société, refaire de la sociologie, constitue en effet un guide visant à « retracer les associations », et in fine à (re)fonder la sociologie. Il s’inspire de Gabriel Tarde, présenté comme le père fondateur de la démarche d’anthropologie symétrique que Latour défend. Celle-ci doit surtout aux travaux du publiciste Maurice Hauriou, qui proposa dans La Science sociale traditionnelle (1896) de définir la sociologie non pas comme une science de la société, mais comme une science de la matière sociale.[...]

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Écrit par

  • : directrice de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)

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Média

Bruno Latour - crédits : Joël Saget/ AFP

Bruno Latour

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