LATOUR BRUNO (1947-2022)
Des identités disciplinaires composites
La trajectoire de Bruno Latour est marquée par une succession de déplacements disciplinaires transversaux, à l'instar de celle du chimiste et physicien Louis Pasteur, pionnier de la microbiologie, dont il a retracé la carrière singulière dans Pasteur : Guerre et paix des microbes (1984). Comme il le précise : un pas de côté est effectué chaque fois que Pasteur rencontre quelque succès pour « aborder un problème difficile mais qui intéresse un nombre de gens plus grand que celui qu'il vient de quitter ». De même, les écrits latouriens traversent les disciplines et reconfigurent des sentiers de recherche avec un élargissement manifeste de ses thématiques de prédilection. Il est tour à tour philosophe, ethnographe, anthropologue des sciences et des techniques, puis du politique, théoricien des cartes, du spatial et des environnements, artiste et commissaire d'exposition.
Une montée en puissance des enjeux environnementaux se dessine dès la fin des années 1990, comme en témoigne la publication de Politiques de la nature. Comment faire entrer les sciences en démocratie (1999). On comprend que l’identité intellectuelle de l’auteur se construit moins par la prolixité de ses postures théoriques que par la conquête successive de différents champs : les éléments de sa pensée sont recomposés et recombinés, offrant de nouveaux regards et appelant de nouveaux publics. Il n'y a pas plusieurs touts théoriques ou disciplinaires chez Latour : son œuvre témoigne du fait qu’il y a plusieurs manières de faire totalité.
Bien qu’il soit membre de plusieurs académies savantes, la dernière partie de la carrière de l’auteur voit s’affirmer plus nettement l’articulation de cette sensibilité épistémologique avec la volonté d’améliorer les conditions d’une écologie du vivre-ensemble. Ainsi, l’importance accordée au principe de symétrie invite à un droit identique pour tous les citoyens et les non-humains à être partie prenante des décisions. Cette position théorique se traduit par un militantisme prônant à la fois un décloisonnement des expertises avec une défense prononcée des lanceurs d’alerte, et une démocratie plus directe et dialogique.
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Écrit par
- Virginie TOURNAY : directrice de recherche au CNRS, Centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof)
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