PEINADO BRUNO (1970- )
En 2000, en s'emparant du bonhomme Michelin, Bruno Peinado, né en 1970 à Montpellier, fit sensation. The Big One World reprend en effet l'effigie en pied du symbole industriel, à deux détails près et pas des moindres. Le personnage a le poing levé à la manière des leaders des Black Panthers, il arbore une coupe capillaire « afro » et une couleur de peau ad hoc. « Ma logique est celle de la créolisation, du métissage. Le monde est une collision d'images. J'ai dans l'idée de casser la pureté », proclame alors Bruno Peinado. Ce métis n'a de cesse de s'emparer de nos « icônes », de retravailler les produits culturels, de l'I-mac qu'il réalise en céramique (Rainbow Warrior, 2001) jusqu'aux tests de Rorschach. « Mon travail consiste aussi à redessiner les archétypes de la culture occidentale ». Et il ne décortique pas les petites mythologies quotidiennes, il les recycle. Tout y passe, aussi bien les médiums que les objets dont il s'empare. Peinado pratique le collage, l'échantillonnage et la personnalisation d'objets : « croire en l'originalité est une erreur ». Il s'inspire aussi bien des créations modernistes des époux Charles et Ray Eames dans les années 1950 (Good Stuff, 2001) que des pochettes de disques de groupes de punk et de reggae, pour dessiner, peindre, sculpter, installer, investissant tous les champs, faisant éclater les conventions comme les hiérarchies des genres. Avec lui, un nain de jardin porte babouches et djellaba en levant un poing rageur (2001), et les touches d'un clavier d'ordinateur se transforment en pouf géant (Escape, 2000). Les slogans s'inversent, les icônes se métissent. Il s'agit de reproduire, démonter, agrandir la haute comme la basse culture. Une manière d'arrêter le flux des images et de démonter les automatismes. En opposition à la logique de série et à la production de masse, il propose le fait-main.
Un ver dans le fruit, voici sa stratégie d'infiltration du monde de l'art. À ce titre, son œuvre la plus emblématique fut réalisée en 2004, lors de la Nuit blanche à Paris. Sept tonnes et demi de résine, de charpente métallique et de surfaces étincelantes pour un cheval de Troie monumental. Sculpture simplifiée, objet déprogrammé, mythologie essorée, signe renversé, Peinado procède avec cette sculpture de cheval transformé en boule à facettes disco à une hybridation exigeante, détournant l'image et les systèmes de sens et de signes dont elle provient. Tout à la fois colosse dont les facettes miroitantes cisèlent les images absorbées et les images renvoyées, boîte à musique, leurre espiègle, bijou suspect, – ainsi se présente son cheval de Troie fixé sur un plateau circulaire. Il rend ici un hommage furtif à Ray Eames en évoquant Revolution counter Revolution, une pièce dans laquelle elle avait inversé le sens rotatif d'un manège de chevaux de bois. À retournement, retournement et demi : Peinado repart dans l'autre sens. Et le cheval devenu Ride like lightning, Counter Revolution Counter impose sa mise en abîme infinie. Une image « retournée comme un gant » affichant crânement sa séduction et sa dangerosité, et renfermant un message embusqué. Depuis 2006, Bruno Peinado abandonne progressivement le terreau culturel de ses débuts, nourri de musique et de culture populaire, pour diriger sa pratique vers des formes plus abstraites, une réflexion plus formaliste sur la couleur et les matières mais toujours inscrite à l'intérieur d'un processus de recyclage.
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Écrit par
- Bénédicte RAMADE : critique d'art, historienne de l'art spécialisée en art écologique américain
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