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WALTER BRUNO (1876-1962)

Un mozartien hors du commun

Le répertoire de Bruno Walter s'était construit essentiellement autour de sa formation lyrique : parti des opéras de Mozart, Beethoven, Weber, Wagner et Richard Strauss, il avait adopté l'œuvre symphonique de ces musiciens, élargissant rapidement son approche à l'ensemble du répertoire romantique. Après l'avoir considéré comme un musicien rococo, il a découvert en Mozart « le Shakespeare de l'opéra » et l'a dégagé du pathos romantique allemand qui le défigurait pour lui redonner sa spontanéité, sa jeunesse et sa souplesse italienne. Il a également joué un rôle prépondérant en faveur de Mahler, dont il a imposé la musique tout au long de sa vie, souvent dans l'indifférence et l'incompréhension, et auquel il a consacré un livre en 1936 ; l'histoire lui a donné raison. La musique française l'attirait peu : toute sa vie, il a cherché l'interprète idéale de Carmen et, en de rares occasions, il a dirigé Pelléas et Mélisande (première à Vienne en 1902) et La Mer de Debussy. Il a fait quelques incursions dans le domaine de la musique contemporaine, créant la suite de ballet Schlagobers (1932) de Richard Strauss, la Symphonie no 2 (1934) de Kurt Weill, le deuxième Essay for Orchestra (1942) de Samuel Barber. Il dirigeait certaines pages de Schönberg (La Nuit transfigurée), Hindemith ou Chostakovitch (Symphonie no 1). Mais, contrairement à Toscanini ou à Furtwängler, son univers était presque exclusivement germanique, de Haydn à Johann Strauss, de Mozart à Bruckner et Mahler. Il remettait sans cesse sur le métier des symphonies de Mozart, Beethoven, Brahms ou Mahler, qu'il a gravées à plusieurs reprises, laissant des témoignages précieux de l'évolution de sa démarche artistique.

Des grands chefs allemands de cette génération, Bruno Walter était probablement le plus mesuré, celui qui savait donner à la musique une dimension humaine véritablement rayonnante. La technique pure de la direction d'orchestre occupait peu de place dans sa démarche, essentiellement guidée par la recherche de la spontanéité mélodique et de la force dramatique. Contrairement à Toscanini, il s'intéressait à toutes les formes d'art et à la littérature – il était très lié avec Thomas Mann –, écrivant lui-même de nombreux articles et essais. Il attribuait à la musique un véritable pouvoir moral, et cette tendance domine les enregistrements réalisés avant son départ pour les États-Unis. Un changement profond s'opère alors, révélant un tempérament bouillonnant qui semble protester avec véhémence contre toutes les horreurs et la barbarie qu'il a connues : aucune résignation dans ces illusions perdues, mais l'affirmation d'un homme libre dont la baguette allume de véritables incendies. Plus tard, le temps aidant, ses lectures s'assagissent, gagnent en profondeur ce qu'elles perdent en passion : le moule semble plus strict, les phrases parfaitement modelées ; formé à l'école du chant, qu'il accompagnait avec une rare subtilité, il sait donner une respiration au rythme régulier qu'il a substitué à la trop grande liberté postromantique : rigueur apparente sous-tendue d'une pulsation qui lui permettait, selon ses propres dires, de rendre si gais les mouvements rapides de Mozart qu'on en ait envie de pleurer.

L'œuvre de Bruno Walter compositeur, qui date surtout de sa jeunesse, est restée dans l'ombre de la notoriété du chef d'orchestre. Il a écrit deux symphonies, un quatuor à cordes, un quintette et un trio avec piano, des pièces pour piano, des lieder ainsi qu'une partition chorale, Siegesfahrt, pour soli, chœur et orchestre.

— Alain PÂRIS

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Écrit par

  • : chef d'orchestre, musicologue, producteur à Radio-France

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Bruno Walter - crédits : Erich Auerbach/ Hulton Archive/ Getty Images

Bruno Walter

Bruno Walter et Elisabeth Schumann - crédits : Gerti Deutsch/ Picture Post/ Hulton Archive / Getty Images

Bruno Walter et Elisabeth Schumann

Cinq grands chefs d'orchestre - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis Historical/ Getty Images

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