BUENOS AIRES
Du centre aux périphéries
De fait, depuis l'arrivée en masse des « descamisados » (« sans chemises ») dans les années 1930, l'avenue General Paz – sorte de boulevard de ceinture qui enserre la capitale (200 km2) – dessine une frontière symbolique, sociale et politique entre la « ville européenne » des classes moyennes et les banlieues populaires qui s'étendent à l'infini.
De la ville coloniale fondée en 1580 par Juan de Garay, il ne reste pas grand-chose, si ce n'est le plan en damier (cuadricula), organisé sur la base de manzanas – pâtés de maison de 100 mètres sur 100 mètres. À partir des années 1880, lors de la forte poussée urbaine, la cuadricula dirige la progression de la ville du centre vers les quartiers (barrios), qui se couvrent de petites maisons basses, dans un paysage urbain contrasté. Durant les années 1880, la ville, qui se veut le symbole de la nation et le reflet de sa prospérité, est un vaste chantier. De grands travaux de type haussmannien sont alors entrepris. Le percement de l'avenue de Mai, qui unit la Casa Rosada (palais présidentiel) au Congrès, constitue l'axe civique majeur, lieu de tous les rassemblements et manifestations.
En plus d'une croissance démographique rapide et de la modernisation technique (inauguration du premier métro d'Amérique latine en 1914), Buenos Aires s'affirme, dans la période 1880-1930, comme la grande métropole culturelle et intellectuelle de l'Amérique du Sud. Ville de classes moyennes formées d'enfants d'immigrés, entraînées dans un processus fort d'ascension sociale et d'intégration citoyenne pendant plus d'un demi-siècle, elle se caractérise par la très grande fréquentation des espaces publics – les rues, les parcs et jardins, les places, les très nombreux cafés, les librairies, les théâtres puis les cinémas de l'avenue Corrientes, sorte de « Broadway portègne ». Toutefois, l'importance de la classe moyenne ne doit pas occulter la ségrégation nord-sud au sein de la ville. Les élites et les classes aisées ont migré dès la fin du xixe siècle, après l'épidémie de fièvre jaune (1871), vers le Barrio Norte et les hauteurs de Belgrano, abandonnant les quartiers historiques du sud (Montserrat et San Telmo, La Boca) aux classes populaires.
Passée l'avenue General Paz, la situation est tout autre. Le déferlement de la « tache urbaine » résulte de la vente aux enchères des terres agricoles à des fins de lotissement et d'urbanisation. L'avancée inexorable de l'habitat populaire sur la Pampa a produit un paysage monotone et chaotique. Le long des voies ferrées et des axes routiers s'alignent les maisons autoconstruites, petits cubes en parpaing percés d'une ou deux ouvertures, dans des zones de plus en plus mal équipées au fur et à mesure que l'on s'éloigne du centre et de la route. Les services et les équipements sont bien inférieurs à ceux de la ville-centre, mais le système de lotissements populaires encouragé par les politiques de crédit à bon marché et de subventions aux transports collectifs a permis un accès massif à la propriété (casa propia). Entre 1947 et 1967, la proportion de propriétaires passe de 27 p. 100 à 67 p. 100, fait exceptionnel en Amérique latine. Pour autant, les bidonvilles (villas miseria) font leur apparition dans les bas-fonds inondables (bañados), le long du río Reconquista et dans le bassin fluvial du Riachuelo-Matanza (à cheval sur la capitale et le Conurbano).
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Écrit par
- Marie-France PRÉVÔT-SCHAPIRA : géographe, professeure émérite à l'université de Paris-VIII, Creda-UMR 7227
Classification
Médias
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