EXSURGE DOMINE BULLE (1520)
La légende est peut-être plus vraie que l'histoire, qui représente Léon X, pape Médicis de la beauté, arrêtant à peine une chasse à courre pour signer, dans une clairière des monts Albins, la condamnation d'un moine déviant inconnu qui perturbe l'Allemagne. Cette bulle, publiée à Rome le 15 juin 1520, a été préparée au cours de l'hiver précédent par une commission de théologiens, issus en majorité des ordres mendiants prédicateurs officiels des indulgences et des aumônes pour la basilique Saint-Pierre. Avec le cardinal Accolti, le cardinal dominicain Cajetan a assuré la présidence de cette commission, lui qui avait ressenti sa rencontre avec Luther à Augsbourg (12-15 oct. 1518) comme un douloureux échec. Ce pasteur théologien a tenté de nuancer la rédaction, alors que le théologien Jean Eck prônait une condamnation globale et radicale d'un Luther scandaleux et hérétique. Discutée par quatre consistoires de cardinaux de curie, la bulle ménage la personne de Luther — il a soixante jours pour se soumettre — et porte condamnation de quarante et une propositions doctrinales, tirées des œuvres de l'augustin saxon. Inspiré du jugement de la faculté théologique de Louvain du 7 novembre 1519, ce « syllabus », où Jean Eck a fait tout de même passer six articles condamnant Luther comme défenseur hérétique des conciles au détriment de la primauté romaine, constitue le premier condensé — non la synthèse — de la pensée luthérienne.
Telle quelle, dans le climat d'une année marquée par la mort de Maximilien Ier et l'élection difficile de Charles Quint (28 juin 1519), la bulle, instrument juridique, ne peut constituer un moyen efficace de paix. Luther, qui une première fois en a appelé au concile et du pape mal informé au pape mieux informé (28 nov. 1518), fait un deuxième appel (17 nov. 1520). La réponse romaine vient alors sous la forme d'une nouvelle bulle excommuniant cette fois Luther et ses partisans (Decet romanum pontificem, 3 janv. 1521).
Sur le terrain de l'Empire, la publication de la bulle Exsurge Domine ne se fait qu'en Rhénanie et aux Pays-Bas, parce que Charles Quint y appuie le nonce Alexandre. Jean Eck, passionnément anti-luthérien, réussit à en faire des proclamations officielles dans les cathédrales de Brandenburg, Merseburg, Meissen, dont dépend Wittenberg. Mais l'exécution des sanctions prises rencontre une résistance passive ou active quasi générale en terre allemande. Luther a-t-il jeté au feu un exemplaire de la bulle sous les acclamations des étudiants de Wittenberg (10 déc. 1520) ? En tout cas, elle a été souvent jetée à l'eau et piétinée ; on a peu brûlé les écrits de Luther, et le bannissement par Charles Quint hors de l'Empire du réformateur excommunié n'a jamais été effectif, protégé qu'il était par Frédéric le Sage de Saxe, bien d'autres princes, d'autres laïcs et par le peuple ! Nombre d'évêques allemands même adoptent une attitude « proche du sabotage » (H. Jedin).
Cette résistance s'explique par le fait que Rome a mis les évêques hors d'affaire dans une procédure judiciaire qui relève en première instance de leur ressort. Parce que pareille attitude ne donne pas droit aux justes thèses conciliaristes traditionnelles. Parce que la Rome papale de la Renaissance ne se remet pas en cause sous les appels réformistes de Martin Luther, continuant notamment à prélever de lourdes taxes sur l'Église allemande. Parce que l'opinion publique persiste à voir dans le moine augustin un fils de l'Église exerçant la liberté chrétienne, résistant mais non hérétique, dont surtout l'Appel à la noblesse allemande de l'été 1520 constitue un véritable programme de concile de réformation.
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Écrit par
- Armand DANET : docteur ès sciences humaines
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