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BUONGIORNO, NOTTE (M. Bellocchio)

Après la réussite de films tels que La Nourrice (1999) et Le Sourire de ma mère (2002), Marco Bellocchio poursuit, librement, son commentaire de l'histoire politique italienne. Avec Buongiorno, notte (2003), il construit une fiction à partir d'un événement réel : l'enlèvement, la séquestration, puis l'exécution d'Aldo Moro, président de la Démocratie chrétienne, en 1978.

L'œuvre s'organise comme une sorte de huis clos mettant en présence deux protagonistes : l'un à quatre visages – le commando des Brigades rouges qui séquestre Aldo Moro –, l'autre seulement incarné par le vieux leader de la Démocratie chrétienne, enfermé dans une petite pièce pour y subir un procès révolutionnaire. Entre ces deux pôles, une partie serrée se joue. Le cinéaste oppose la rigidité idéologique des brigadistes, entamée par la faille qu'introduit une jeune femme qui ne croit bientôt plus à la légitimité d'une exécution programmée – elle est aussi la seule qu'on voit en dehors de l'appartement qui constitue l'« unité de lieu » du film –, à l'humilité d'un politicien retors, submergé par sa propre détresse. L'Aldo Moro de Bellocchio est rendu touchant par la dimension de ses affects et l'étroitesse de ses perspectives de libération : écrivant lettre sur lettre, il appelle au secours sa famille, ses camarades de parti, il se tourne vers le pape lui-même, espérant susciter une alternative à sa condamnation prévisible. Bellocchio offre ici davantage une réflexion qu'une relecture d'un épisode controversé de l'histoire de l'Italie ; il ne fait pas œuvre d'historien mais donne libre cours à son imagination à propos d'un événement vieux de vingt-cinq ans, et que le recul rend particulièrement singulier, d'autant qu'il subsiste aujourd'hui encore des zones d'ombre autour de lui. Il revient aussi sur l'épisode fondateur de la République italienne – les combats de la Résistance –, mettant en scène un banquet du souvenir à la mémoire d'un camarade décédé, comme si les espérances trahies des lendemains de guerre conduisaient à l'impasse du terrorisme.

Le cinéaste, lui-même proche un moment de l'extrême gauche et qui milita dans les rangs de l'Union des communistes – il réalisa pour elle en 1969 Viva il primo maggiorosso et Paola –, met en scène un épisode traumatisant de la vie politique italienne. Face à une classe politique qui refuse de négocier et un souverain pontife qui ne peut que lancer des appels à la clémence, sans disposer d'aucune monnaie d'échange, les brigadistes, menacés d'étaler leur manque de détermination face à l'« État bourgeois » et leur faiblesse au regard de « la classe ouvrière » dont ils se prétendent l'avant-garde armée, n'ont guère le choix. La rhétorique des discours extrémistes justifie l'exécution d'un homme sacrifié à la raison d'État. À cet égard, la scène qui montre la classe politique venue assister à une messe célébrée par Paul VI, alors même que la dépouille mortelle d'Aldo Moro, selon la volonté de sa famille, est absente de la basilique Saint-Jean-de-Latran, revêt une dimension irréelle. Bellocchio, qui recourt volontiers dans sa narration aux journaux télévisés utilisés comme repères temporels, souligne l'étrangeté de la cérémonie, en transformant ces images au ralenti en un funèbre défilé de têtes. Tous les responsables de l'État et des partis sont là : Moro n'était-il pas à l'origine du « compromis historique » destiné à rapprocher démocrates chrétiens et communistes ? Mais ces dignitaires semblent plus accablés par leur impuissance, leur lâcheté ou leur hypocrisie – Leonardo Sciascia ne s'y était pas trompé, et on relira avec profit son [...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne

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