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BUREAUCRATIE

Vers une nouvelle théorie de la bureaucratie

Les néo-rationalistes

Les premiers théoriciens de la rationalité bureaucratique avaient accepté, sans la mettre en doute, l'expérience des ingénieurs tayloriens qui ne considéraient pas les membres d'une organisation comme des êtres libres mais comme de simples rouages de la machine. Les théoriciens des dysfonctions s'appuyaient avant tout sur une analyse des éléments affectifs du comportement.

Le renversement de perspectives, qui s'est amorcé à la fin des années cinquante, s'est opéré à partir de la reconnaissance du caractère libre et actif de chaque agent humain au sein d'une organisation. Cet élargissement humaniste a permis paradoxalement un retour au rationalisme dont les fondements sont, d'une part, une théorie nouvelle de l'action et, d'autre part, une théorie nouvelle du pouvoir.

La nouvelle théorie de l'action est le fruit d'une très longue pratique de méthodes nouvelles et plus scientifiques de prise de décision, qui ont permis d'introduire un nombre croissant de facteurs contingents dans ce qui apparaissait comme un univers complètement déterministe. C'est Herbert Simon qui a été l'inspirateur intellectuel de ce renversement. Il a très vivement et pertinemment critiqué le principe du one best way – une fois le but fixé, il y a toujours un seul meilleur moyen (à découvrir par les ingénieurs) pour y parvenir – et il lui a substitué le concept de rationalité limitée. L'homme ne peut parvenir à la rationalité absolue, limité qu'il est théoriquement par d'insolubles problèmes d'ordre cognitif, et, pratiquement, par le coût même de l'information. La découverte de l'existence de ces facteurs limitatifs permet de rétablir l'analyse rationnelle en la mettant à sa vraie place et de tenir compte des facteurs humains qui ne vont pas à l'encontre de son exercice, mais en déterminent simplement le cadre. Dans cette nouvelle logique, l'organisation hiérarchique monocratique n'apparaît plus comme l'incarnation de la rationalité, mais comme un expédient de moins en moins utile.

La nouvelle théorie du pouvoir vient à la fois des recherches expérimentales sur les groupes et de la théorie des jeux. Des politologues comme Robert Dahl, James March l'ont développée dans une perspective instrumentale.

Michel Crozier en a tenté une transposition sur un plan sociologique plus large et s'en est servi comme point de départ d'une théorie nouvelle des formes bureaucratiques. Le pouvoir d'un individu à l'intérieur d'une organisation dépend, selon lui, de sa capacité de contrôler une source d'incertitude déterminante pour la bonne marche de l'organisation. La lutte pour le pouvoir domine le jeu des rapports humains au sein d'une organisation.

L'organisation peut répondre à ce problème, soit en figeant les rapports de pouvoir par des structures rigides, soit en trouvant le moyen de maintenir, à travers des équilibres fluides, le minimum de cohérence nécessaire. La première solution correspond aux formes d'organisation bureaucratique. Systématisant le sens populaire du terme, Crozier définit une organisation bureaucratique comme une organisation qui ne peut ni se corriger facilement en fonction de ses erreurs, ni innover ou s'adapter sans crise aux transformations de son environnement.

Cette forme d'organisation peut être considérée comme une structure de protection des individus. Elle leur assure le minimum de sécurité indispensable dans leurs rapports avec leurs semblables à l'occasion des activités coopératives coordonnées nécessaires à la réalisation de leurs buts.

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Écrit par

  • : directeur de recherche au C.N.R.S., président fondateur du Centre de sociologie des organisations

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