BURUNDI
Nom officiel | République du Burundi |
Chef de l'État | Evariste Ndayishimiye - depuis le 18 juin 2020 |
Chef du gouvernement | Gervais Ndirakobuca - depuis le 7 septembre 2022 |
Capitale | Gitega |
Langue officielle | Kirundi , Français |
Population |
13 689 450 habitants
(2023) |
Superficie |
27 830 km²
|
Article modifié le
Le Burundi indépendant
Une décolonisation conflictuelle et une cristallisation ethnique
Cependant, l'indépendance octroyée le 1er juillet 1962 ne permet pas la réalisation du projet nationaliste de modernisation conservatrice. Certes, le pays n'est guère prêt, en raison du faible nombre des élites universitaires et de la situation originale de Bujumbura, une ville plus cosmopolite que burundaise, un centre extra-coutumier dont le développement s'est distingué du reste du royaume du Burundi. Mais surtout, de 1962 à 1965, la politique va peu à peu s'ethniciser. En sont responsables une déstabilisation chronique de la classe politique (après les assassinats, notamment, de Louis Rwagasore en 1961 puis du Premier ministre hutu Pierre Ngendandumwe en 1965), l'action et les divisions de la Cour, une inadaptation de la Constitution aux réalités culturelles (accaparement autoritaire du pouvoir par le roi et la Cour). Enfin, le contexte international, les événements au Rwanda et la guerre froide agissent d'une façon décisive sur la vie politique. La révolution sociale rwandaise opère comme un modèle sur les leaders hutu et incite les élites tutsi à un repliement sécuritaire, poussant tous les acteurs politiques à mener un double jeu, sous couvert d'idéologies cultivant un non-dit ethnique, tandis que la guerre froide brouille les attitudes politiques et multiplie les manipulations. Durant l'année 1965, les différentes impasses du temps présent semblent se nouer : les élections législatives, qui accordaient une majorité aux parlementaires hutu, ne furent pas prises en considération par le roi, qui imposa son propre gouvernement. Ce premier coup d'État constitutionnel fut suivi d'un premier coup d'État hutu en octobre ; celui-ci fut l'occasion de massacres de civils tutsi puis hutu. La destitution du roi, en juillet 1966, par le prince héritier, Charles Ndizeye, qui prit le pouvoir sous le nom de Ntare V, ne sauva ni la monarchie ni le système parlementaire multipartiste, marqués par cinq ans d'instabilité et d'incapacité à transcender les clivages ethniques naissants. Or les deux Républiques qui suivirent amplifièrent et structurèrent ces divisions, même si, à leur naissance, elles désiraient les dépasser.
La Ire et la IIe République : de la négation à l'entretien des problèmes ethniques
La République instituée par le capitaine Michel Micombero en novembre 1966 voulait moraliser la vie publique et dépasser les clivages ethniques sous couvert d'une idéologie progressiste ; l'Uprona devenu parti unique devait être le levier d'un tel programme. Mais, au contraire, toute la dynamique du régime se situa dans une optique sécuritaire, avec la volonté de monopoliser les organes de l'État et le parti unique et de les transformer en appareil de domination tutsi, de constituer une armée comme un pôle stable et homogène capable de protéger et de maintenir un pouvoir en forme de monocratie militaire. Cette stratégie se réalisa par l'élimination physique des élites politiques hutu dès 1969 et par des procès d'intimidation envers les élites libérales tutsi en 1971 ; d'où les conflits internes propres aux Tutsi entre les clans « inférieurs » du Sud, les Bahima, dont étaient issus le président et la majorité du gouvernement, et les clans « honorables », les notables proches de la cour et suspects de monarchisme, les Banyaruguru.
En avril 1972, une insurrection hutu appuyée par des Zaïrois dans le sud du pays donna l'occasion au pouvoir d'appliquer sa politique de façon systématique. L'armée et les jeunesses du parti unique ripostèrent avec l'aide de l'armée zaïroise par une répression qui fit entre 100 000 et 300 000 victimes et élimina toutes les élites hutu en poste ou en formation ; ce génocide « sélectif » permit aussi l'assassinat de Ntare V, le complot monarchiste fournissant l'alibi de la répression grâce à la confusion systématique des oppositions.
À partir de ce moment, le pouvoir, discrédité au niveau international, tomba dans une dérive extrémiste aux mains d'un petit groupe de fidèles d'un président éthylique. La révolution de palais menée par l'armée (en novembre 1976) et la prise de pouvoir par le lieutenant colonel Jean-Baptiste Bagaza assisté d'un Conseil supérieur de la révolution mirent fin à la Ire République.
La IIe République réactiva et modernisa le projet républicain (moralisation publique, restauration d'un parti unique interethnique) auquel il fut adjoint un programme de développement. Les premières mesures – l'abolition des anciens contrats de clientèle pastorale et foncière, les choix d'investissements publics et agro-industriels, favorisés par une bonne conjoncture financière des revenus caféiers, les projets de développement, en particulier le plan de villagisation allié à certaine compétence d'une nouvelle génération de cadres, enfin l'ouverture de l'appareil d'État aux autres groupes tutsi et à certains Hutu – s'inscrivent dans cette volonté de changement. Mais celle-ci s'émoussa rapidement. Dès 1979, les tentations de repliement ethnique, lignager et autoritaire prennent le dessus, l'Uprona est de nouveau réduite au rôle d'auxiliaire de l'administration, et le régime se durcit : dans le cadre de la CEPGL (Communauté économique des pays des Grands Lacs), les régimes burundais et rwandais se reconnaissent l'un l'autre, confortant ainsi l'isolement des oppositions réfugiées sur leur sol. Mais surtout Bujumbura se lance dans une opposition à l'encontre de l'Église catholique, qu'il accuse de subversion et à laquelle il reproche de servir de refuge à une opposition hutu. Cet affrontement devient de plus en plus ouvert à partir de 1984, quand, au lendemain de l'élection présidentielle, à l'issue de laquelle Bagaza est réélu avec 99,66 % des voix, le pouvoir opte pour une répression systématique. Au moment où la corruption atteint un niveau jusqu'alors inconnu, profitant à une clientèle apparentée aux hautes autorités, ce bras de fer avec l'Église isole de plus en plus le régime des bailleurs de fonds mais aussi de l'opinion nationale, en particulier de la population tutsi qu'il était censé défendre.
En réalité, la IIe République était prise au piège de l'ouverture économique qu'elle avait suscitée ; la croissance, perceptible dans les années 1980 tant dans le domaine des productions, des équipements que dans celui des services publics, accentuait la dépendance financière vis-à-vis de l'extérieur et éveillait des frustrations au sein des nouvelles élites tutsi et hutu, comme au sein d'une paysannerie dont le niveau de vie stagnait en comparaison avec celui des habitants des villes, des fonctionnaires...
Comme en 1976, la normalisation vint d'un coup d'État dont le scénario est quasi identique au précédent. Le 3 septembre 1987, le major Pierre Buyoya, tutsi hima comme ses deux prédécesseurs, prit le pouvoir à la tête d'un Comité militaire de salut national. Il entreprit alors une normalisation des rapports avec l'Église catholique et avec les bailleurs de fonds et s'engagea dans une libéralisation qui mit à l'ordre du jour la question de l'unité nationale. Une telle évolution était justifiée car une nouvelle rébellion dans deux communes du Nord en août 1988 avait entraîné des massacres interethniques, certes locaux, mais d'une intensité inégalée.
Une transition démocratique inachevée puis brisée
Cette nouvelle orientation, entre transition démocratique et « décompression autoritaire », prit la forme d'une réconciliation nationale avec des décisions symboliques prises dès octobre 1988 : la nomination d'un Premier ministre hutu et la parité ethnique dans les nominations aux postes de ministres et de gouverneurs. Le régime entreprit ensuite une démocratisation par le haut, qu'il voulut consensuelle. Plusieurs commissions se chargèrent de négocier des réformes constitutionnelles et de préparer l'ouverture au multipartisme ; ces mesures furent l’objet de référendums sur la Charte de l'unité nationale (en février 1991) puis sur la Constitution (en mars 1992). Cette démarche, qui voulait éviter l'exercice traumatisant des conférences nationales, se heurta à une double opposition, tant de la part des conservateurs tutsi que de celle des extrémistes hutu du Palipehutu (Parti pour la libération du peuple hutu) réfugiés au Rwanda, qui se lancèrent dans plusieurs opérations terroristes en 1991 et en 1992 ; l'échec de ces tentatives extrémistes et les succès électoraux confirmèrent l'optimisme du gouvernement. Aussi celui-ci ne se lança-t-il pas dans une démocratisation par le bas, qui risquait d'être conflictuelle, de générer des contentieux ethniques, en modifiant le fonctionnement des institutions comme l'armée et la justice, et de mettre en cause le parti unique, qui aurait dû procéder à une démocratisation interne. Aussi, les désillusions, qui étaient à la hauteur des espérances soulevées, profitèrent plus aux partis de l'opposition interne et légale, dont le Frodebu (Front pour la démocratie au Burundi) qu'au parti unique, qui avait amorcé le changement.
La campagne électorale d'avril-juin 1993 illustra déjà les tentations d'un repliement ethnique et le caractère inachevé de la démocratisation. Pourtant, la large victoire de Melchior Ndadaye et du front politique dirigé par le Frodebu lors de la première élection présidentielle libre puis aux législatives comme les premières mesures prises (dont la formation d'un gouvernement d'union dirigé par un membre de l'Uprona) laissaient espérer la réussite de l'expérience démocratique en dépit des peurs, des passions soulevées et malgré le fait que le « Burundi nouveau » bousculait les rapports de force dans la région. Cette expérience dura moins de cent jours.
Le coup d'État avorté du 21 octobre 1993, au cours duquel furent assassinées les hautes autorités de l'État, non seulement décapita le régime, mais inaugura une crise qui s'est perpétuée en une guerre civile. En effet, à l'annonce de la mort du président Ndadaye, le soulèvement populaire a rapidement dégénéré, dans une partie du pays et sous l'impulsion des autorités locales, en massacres de masse politico-ethniques de populations civiles tutsi et hutu ; la répression militaire qui suivit n'échappa pas au cycle de la vengeance ethnique. Ces événements ouvrirent une crise constitutionnelle et, bien plus, une crise de confiance au sein de la population et des élites.
Enlisement dans une guerre civile et sortie de crise politique
Si le vide constitutionnel fut en partie comblé par des accords entre les partis qui aboutirent à la restauration d’un pouvoir légitime, par le choix, en janvier 1994, d'un président de consensus, Cyprien Ntaryamira, issu du Frodebu, et par le partage du pouvoir entre le front présidentiel et l'ex-parti unique. Mais la réconciliation fut, dans les faits, paralysée par les stratégies extrémistes des acteurs politiques et des institutions. Ceux-ci étendirent les violences à la capitale et au reste du pays et favorisèrent une déstabilisation avec l'espoir d'amener, pour les uns, à une restauration militaire autoritaire et, pour les autres, à une internationalisation du conflit et de son arbitrage. De plus, la mort du président, en même temps que celle de son homologue rwandais le 6 avril 1994, le génocide rwandais et l'extension de la guerre dans la région des Grands Lacs firent rebondir la crise.
Ces flambées répétées de violences ont justifié les stratégies du pire et ont empêché toute solution modérée, le pays fut alors pris en tenaille entre une rébellion rurale hutu et des milices urbaines tutsi qui, assurées d'un certain soutien institutionnel dans l'appareil d'État et dans l'armée, plongèrent le pays dans une guerre civile.
Ces impasses expliquent le coup d'État militaire de Pierre Buyoya en juillet 1996. Le nouveau pouvoir, condamné par la communauté internationale et régionale, s'engage dans une politique qui ne semble pas avoir choisi entre l'option militaire et l'option politique. Les circonstances extérieures, en particulier la nouvelle géopolitique régionale, conditionnent alors l'évolution politique intérieure burundaise. Les protagonistes, les rébellions hutu (notamment le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces pour la défense de la démocratie, CNDD-FDD, et les Forces nationales de libération, FNL) et le pouvoir aux mains de l'ancien parti unique tutsi y trouvent des ressources, des aides logistiques qui les confortent dans leur jusqu'au-boutisme militaire ; celui-ci s'exprime, pour les rébellions hutu, dans leur tentation de libérer le territoire, de mener une guérilla en s'appuyant sur des foyers internes, pour le gouvernement et l'armée, dans celle de sécuriser les villes et de pacifier le pays par une politique de regroupement de la population. De plus, l'embargo décidé par la communauté régionale pénalise les populations, sans pour autant pousser les acteurs politico-militaires à un compromis. Le pays et la région plongent alors dans une économie (et une société) de guerre, où extrême pauvreté et accumulation se côtoient, où les populations réfugiées, déplacées et regroupées, les populations urbaines et rurales sont mobilisées, terrorisées par les acteurs politico-militaires en présence. Au demeurant, dès 1998, cette montée vers les extrêmes n'empêche ni les discussions officieuses et officielles sous l'égide de la communauté internationale ou régionale, ni les tentatives internes de sortie de guerre négociée.
Paradoxalement, alors que les violences de masse atteignent une nouvelle intensité, les négociations progressent, en deux temps. D'abord, l'accord signé à Arusha (Tanzanie) en août 2000 entre le gouvernement et l'opposition politique intérieure (Frodebu) et extérieure (CNDD) réintroduit le parti de l'ex-majorité présidentielle dans la vie politique et inaugure un partenariat. L'accord global de cessez-le-feu signé en novembre 2003 entre le gouvernement de transition et le principal mouvement rebelle armé, le CNDD-FDD, parachève ces négociations, met fin à la guerre, rapproche les belligérants d'hier, les Forces armées burundaises (FAB) et le FDD, bien qu'une dernière rébellion, celle du FNL d’Agathon Rwasa, persiste dans une province voisine de la capitale.
La paix s’impose au fur et à mesure que des gages sont donnés de part et d'autre, dont l'alternance au sommet de l'État entre Pierre Buyoya et son vice-président hutu du Frodebu Domitien Ndayizeye en avril 2003, le respect du cessez-le-feu et la démobilisation, la mise en place des institutions de transition. Bien qu'entravée par des rivalités de leadership entre les trois grands partis nationaux, l'Uprona, le Frodebu et le CNDD-FDD, la transition atteint ses objectifs institutionnels. D'une part, la Constitution reposant sur une meilleure répartition entre les deux composantes ethniques de la nation est plébiscitée en février 2005 ; d'autre part, l'intégration dans les rangs de l'armée nationale des combattants du FDD devient effective. L'achèvement réussi des deux processus – politique et militaire – de négociation autorise alors un nouveau calendrier électoral post-transition et le retour à une légitimité politique. Cette sortie de crise s'explique aussi par l'échec des stratégies exclusivement militaires, dans un contexte géopolitique régional stabilisé avec des interventions de la communauté internationale décisives, à l'exemple de la médiation de Nelson Mandela, du déploiement d'une force militaire essentiellement sud-africaine décidé par l'Union africaine dès février 2003, de l'Opération des Nations unies au Burundi (ONUB) dès juin 2004 ; cette présence gèle de facto la situation sans vainqueurs ni vaincus, puis prend en charge avec une société civile naissante l'urgence d'un chantier politique, en particulier les élections, que l'État et la société fragilisés par dix ans de guerre ne pouvaient mener seuls à bien.
Les élections générales, communales puis législatives, de 2005 ont alors transformé le paysage politique. L'ancienne rébellion du CNDD-FDD sort vainqueur des différentes élections, qui se sont déroulées dans la transparence. Elle obtient la majorité absolue au Parlement, s'assure 75 % des postes d'administrateurs locaux et impose son candidat à l'élection présidentielle par l'Assemblée nationale et le Sénat réunis, Pierre Nkurunziza. Alors que les partis établis, l'Uprona et le Frodebu, se sont crispés sur leur position ethnique, ce qui les a desservis, le CNDD-FDD a récolté les bénéfices de sa présence locale et de la réussite de son intégration au sein de la nouvelle armée nationale, gage de protection pour la population hutu.
Les défis de la réconciliation politique : entre espoirs et dérives autoritaires
Les élections de 2005 ouvrent une période politique originale et historique vers une sortie de guerre consensuelle. Celle-ci repose sur trois aspects fondamentaux. Tout d’abord, un régime politique inclusif est mis en place avec l’adoption, en février 2005, d’une Constitution consociative (pour gouverner par consensus tout en respectant les droits des minorités) et une nouvelle gouvernance pour une redistribution des postes sur la base de quotas partisans, ethniques et régionaux. Ensuite, le pays retire les bénéfices de la reconstruction et des politiques publiques dynamiques, en particulier le retour des réfugiés et des déplacés, qui ont été soutenues par la communauté internationale et qui répondaient aux attentes sociales. Enfin, entre compromis et paix des braves, les ennemis d’hier se sont engagés dans des chantiers communs sensibles, tels que la construction d’une armée nationale, le projet d’une commission Vérité et Réconciliation, le retour des réfugiés et la redistribution foncière. Comme en témoignent les élections de 2005, cette politique est soutenue par la population, notamment la génération sortie des maquis ou revenue de l’exil, formée aux négociations d’Arusha et impliquée dans la société civile émergente au-delà des clivages politico-ethniques. Durant les deux présidences de Pierre Nkurunziza, de 2005 à 2010, puis de 2010 à 2015, ce projet politique tente de s’ancrer par des alliances politiques nouées entre les deux principaux partis gouvernementaux (le CNDD-FDD et l’Uprona), des recompositions au sein du CNDD-FDD et des politiques publiques volontaristes (une armée nationale, des politiques de santé publique, etc.).
Mais ce compromis historique des accords d’Arusha se heurte aux dérives autoritaires, aux manœuvres politiciennes et aux pratiques clientélistes. De plus, les résultats socio-économiques ne sont pas à la hauteur des espoirs. Certes l’économie burundaise renoue avec la croissance, le revenu moyen par habitant dépasse celui d’avant-guerre, portée par le secteur tertiaire et la construction, mais elle reste tributaire des aides, dons et investissements. Par ailleurs, les politiques publiques, dans le domaine de la santé et de l’éducation ou des communications, s’épuisent ou n’ont pas les retombées attendues. Alors que l’écart de croissance entre le Burundi et ses voisins est-africains se creuse, la gouvernance économique du pays est remise en cause par plusieurs affaires de corruption.
La première présidence de Nkurunziza (2005-2010) est confrontée aux défis politiques hérités de la transition – la négociation avec la dernière rébellion du FNL d’Agathon Rwasa en 2006, la mise en place d'une justice transitionnelle et d'une commission Vérité et Réconciliation, qui ne sera créée qu’en 2015, et aux contraintes structurelles économiques et démographiques. Ces premières difficultés et plus encore son hégémonie politique poussent le président et son parti à recourir à l’autoritarisme.
Les élections générales de mai-juin 2010 illustrent cette dérive. Le pouvoir en place fait usage de la violence en s’appuyant sur les milices et les organisations de jeunes des partis, dont celle du CNDD-FDD (les Imbonerakure, les « visionnaires »), alors que l’opposition, minoritaire mais pouvant accéder aux institutions gouvernementales, opte pour une voie radicale après que le parti au pouvoir a remporté les élections locales de mai 2010, entachées de fraude. Le boycott du scrutin par l’opposition laisse ainsi Pierre Nkurunziza seul candidat en lice : ce dernier est réélu avec 91,6 % des suffrages.
La sortie de cette crise post-électorale reste tactique mais elle en évite une autre de plus grande ampleur : le CNDD-FDD et l’Uprona, l’opposition parlementaire, s’allient pour former un gouvernement alors que l’opposition extraparlementaire engage un combat sur le terrain médiatique et social. La vie politique de la capitale et de sa région, Bujumbura Mairie et Bujumbura Rural, est alors marquée par une société civile dynamique et protestataire, en particulier une jeunesse marginalisée, majoritaire mais socialement et économiquement frustrée, qui se mobilise en s’engageant dans les organisations de jeunesse des différents partis, dans les jeunesses paramilitaires du parti au pouvoir, mais aussi dans des organisations de la société civile.
Pourtant ces dérives et limites ne remettent pas en cause le pouvoir ni n’alarment la communauté internationale. Au nom de la sécurité retrouvée et de la stabilité régionale (l’armée burundaise participe aux différentes missions de maintien de la paix dans la région, en Somalie et en République centrafricaine), les partenaires du Burundi, les membres de la Communauté est-africaine à laquelle le Burundi a adhéré en 2007, la communauté internationale et la société burundaise acceptent cette évolution en demi-teinte, entre démocratie et autoritarisme.
Cependant, durant les années pré-électorales, dès 2014, les tensions se multiplient et les positions se radicalisent tant au sein du pouvoir que de l’opposition extraparlementaire, tandis que la société civile organise un mouvement social protestataire, jeune, plutôt urbain, multiethnique, à travers des manifestations de rues afin de répondre aux mesures répressives contre la presse indépendante, les partisans des droits de l’homme ou les candidats de l’opposition. Devant une telle mobilisation de l’opinion publique et internationale, via les radios privées, le pouvoir en place, discrédité et divisé (à la suite du départ de ses cadres modérés et technocrates) répond par des mesures autoritaires. Il se replie sur ses supports militants, politico-militaires et policiers, ainsi que sur ses bases rurales et régionales, d’autant qu’il n’a pu réviser la Constitution :
en mars 2014, le Parlement a rejeté le projet permettant au président de briguer un troisième mandat.
Le 4 mai 2015, le président Nkurunziza choisit l’épreuve de force en se présentant comme candidat, assuré du soutien de la Cour constitutionnelle. Il réprime sévèrement les mobilisations citoyennes qui s’opposent à sa candidature à un troisième mandat. Le 13 mai 2015, le général Godefroid Niyombare, ex-chef d’état-major, tente un coup d’État qui échoue. Dès lors, le pouvoir réprime toute opposition, ferme les organes de presse puis s’attaque aux organisations de la société civile. Alors que les conditions minimales pour la tenue d’élections ne sont pas réunies, avec le retrait de la société civile et de l’Église catholique des diverses commissions électorales et malgré les mises en garde de la communauté internationale, ainsi que le refus des candidats et des partis politiques de participer au processus électoral, les élections sont maintenues. Le 29 juin 2015, le parti au pouvoir remporte les élections législatives avec 77 sièges sur 103 et, le 21 juillet, Pierre Nkurunziza obtient 69,4 % des suffrages lors du scrutin présidentiel avec une participation officielle de 73,4 %. Les procédures électorales sont tronquées et les chiffres sont largement contestés. Bien que son principal opposant, Agathon Rwasa, se soit rallié à son gouvernement, le président Nkurunziza poursuit sa politique, refusant toute négociation avec l’opposition et la société civile, et mène une répression sélective qui fait, en 2015, près de 400 victimes et plus de 200 000 réfugiés. Il rejette également toute médiation régionale, africaine et internationale.
Ce climat politique très tendu attise la radicalisation des positions tant au sein du pouvoir, désireux d’en finir avec les accords d’Arusha, qu’au sein d’une opposition divisée, jouant sur le discrédit du pouvoir et sur une externalisation du conflit, espérant un dénouement armé avec des rébellions militaires ou avec une force d’interposition internationale. Cette escalade de la violence fragilise une économie et une société qui se relèvent péniblement d’une longue guerre civile. Elle pourrait déboucher sur des violences de masse et avoir des répercussions régionales importantes, à moins que, sous la pression des partenaires du pays, les acteurs de la crise burundaise négocient finalement une sortie de crise.
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Écrit par
- Christian THIBON : professeur émérite d'histoire, université de Pau et des pays de l'Adour
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
Classification
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