KEATON BUSTER (1895-1966)
Le cameraman
Il se passionne en même temps très vite pour la technique. « Je voulais savoir, dit-il, comment le film était assemblé dans la salle de montage ; mais c'est la mécanique de la caméra qui me fascinait le plus. »
Les premiers conseils de Fatty ne sont pas très encourageants. « Il faudra que tu te fasses à l'idée, dit-il au débutant, que l'âge mental du public ne dépasse pas douze ans. » Keaton l'écoute en silence, mais, quelques mois plus tard, il possède une expérience suffisante pour lui répondre : « Roscoe, il faudra que tu te sortes cette idée de la tête, parce que ceux qui continueront à faire des films pour une mentalité de douze ans ne garderont pas leur travail très longtemps. »
Ce jugement n'a rien de moral. Il ne procède que d'une appréciation pratique et réfléchie du métier de comique de cinéma. Un métier que Keaton entend exercer de la façon la plus régulière et la mieux organisée. Il n'est pas question pour lui d'attendre l'inspiration, de consulter les grands esprits du siècle ou de s'interroger sur le destin du monde comme Charlie Chaplin.
À partir d'octobre 1919, Joseph Schenck, son producteur, qui exerce en même temps sur lui une sorte de protection paternelle, loue les anciens studios de Chaplin, précisément, et engage une équipe peu nombreuse, mais constamment disponible, qui représente pour Keaton – on le sent dans toutes ses déclarations – un vrai bonheur professionnel.
Dix-neuf courts métrages en vingt-cinq mois pour commencer, puis deux longs métrages par an à partir de 1923, avec des sorties prévues quasi rituellement en avril et en novembre, voilà le rythme de production qui lui semble juste et naturel.
Si l'on songe qu'il s'agit des Trois Âges (1923), de La Croisière du « Navigator » (1924), de Fiancées en folie (1925), du Mécano de la « General » (1926), de Steamboat Bill Jr, terminé la même année (1928) que Le Cameraman, on croit rêver.
Keaton, quant à lui, ne paraît s'être soucié que du meilleur emploi du temps possible. « Mon nouveau contrat, racontera-t-il, me permettait de faire deux longs métrages par an... Le tournage prenait huit semaines (contre trois pour les courts métrages). Ce nouveau système me laissait beaucoup de temps pour me consacrer à l'élaboration de l'histoire et au reste du travail de préparation. Le montage prenait de deux à trois semaines. Cela me donnait de deux à trois semaines de battement entre la fin d'un film et le début du suivant. »
L'inspiration, elle aussi, se commande. Les dix à dix-huit heures de story-conference au studio (six jours par semaine) ne peuvent manquer de la traquer, de l'apprivoiser et de lui faire rendre gorge.
Cette hyperconscience professionnelle n'est en rien liée à une quelconque vanité créatrice. Keaton ne se voit pas, et ne se verra jamais lui-même, comme un « auteur » de films. Il croit le mot réservé à la littérature et à ses genres nobles. « Une des raisons, dira-t-il, pour lesquelles je n'ai jamais pris au sérieux les éloges dithyrambiques, c'est que ni moi, ni mes réalisateurs, ni mes gagmen, n'étions des « auteurs » au sens littéraire du mot. Ceux qui ont le plus souvent collaboré avec moi (Clyde Bruckman, Joseph Mitchell et Jean Havez) n'ont jamais écrit que des gags, des sketches de vaudeville et des chansons. Je doute qu'aucun d'entre eux ait jamais eu son nom sur la couverture d'un livre. »
La prodigieuse quantité de temps investie au bénéfice de la densité et de la soudaineté des trouvailles, l'absence totale de prétention esthétique ou morale, une fierté silencieuse d'artisan : autant de traits qui définissent à la fois l'auteur (quoi qu'il en dise) et son personnage. « Je me concentrais sur ce que je faisais », répondra-t-il invariablement à toutes les questions posées[...]
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Écrit par
- Claude-Jean PHILIPPE : journaliste
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Médias
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