BUTŌ
Le créateur d'une nouvelle danse
Hijikata Tatsumi a imprégné de sa personnalité le mouvement pionnier du butō. De son vrai nom Yoneyama Kunio, il naît le 9 mars 1928 à Akita, dans la région du Tōhoku, un territoire rizicole soumis aux intempéries et aux rigueurs hivernales. C'est là qu'il assiste au kagura (danse liturgique shinto), à des cérémonies de marionnettes chamaniques et à des danses funéraires. Il commence son apprentissage avec Masumura Kazuko (une élève de Eguchi Takaya), qui enseigne la danse expressionniste allemande (développée entre autres par Mary Wigman), alors très en vogue au Japon. En 1949, il assiste à un spectacle de Ōno Kazuo (1906-2010) qui le marque profondément. Après avoir été blessé dans l'usine sidérurgique où il travaille, il s'installe à Tōkyō en 1952, prend le pseudonyme de Hijikata Kunio, vit surtout la nuit et fréquente les bas-fonds et les personnalités de l'« underground » japonais. Au cours de ces années, il apprend la danse moderne, le jazz et la danse classique mais s'exerce aussi à la valse ou au flamenco. Il entame une carrière de danseur « jazz ». Pour subsister, il participe aux toutes premières émissions de variétés télévisuelles et danse dans des cabarets. Parallèlement, il fréquente le studio du chorégraphe Tsuda Notobushi (1910-1984), qui travaille par composition de postures fixes qu'il faut conserver tout en tentant de mouvoir bras, tête, tronc. L'écrivain Mishima Yukio (1925-1970) y propose des improvisations.
En 1959, sous le pseudonyme de Hijikata Tatsumi, il crée sa première œuvre, Kinjiki, d'après le roman de Mishima Yukio – traduit en français par « Amours interdites » et en anglais par « Couleurs interdites », jiki signifiant tout à la fois couleur, amour, érotisme. Il s'agit là d'un duo de dix minutes, avec Ōno Yoshito (fils de Ōno Kazuo), aux allusions clairement homosexuelles. L'homme (Hijikata) porte un pantalon, s'est rasé le crâne et noirci le visage ; le garçon (Ōno), est vêtu d'un short et d'une cravate. L'homme court en cercle et brandit un coq que le garçon prend puis mime l'accouplement avec le volatile. Le garçon s'enfuit et, dans la salle plongée dans l'obscurité, on entend les corps haleter puis tomber tandis qu'Hijikata crie « je t'aime » en français. Pour un public attaché aux traditions et pour les institutions japonaises de l'époque, cette chorégraphie, qui marque la naissance du butō, est tout simplement irrecevable, non seulement à cause du sujet abordé mais aussi parce que la danse elle-même est considérée comme sale et laide.
La singularité de Kinjiki provenait des mouvements heurtés et imprévisibles que Hijikata avait puisés dans les improvisations de jazz et dans l'exhibition sur scène de la sexualité. À l'époque, il cherchait à obtenir un « raidissement » du corps et expérimenta toutes les manières possibles de déconstruire la fluidité du mouvement par des gestes hachés, des tressautements, des contrastes, une absence totale de souplesse et de fluidité. Non seulement cette gestuelle était totalement inédite, mais une telle raideur éliminait tout récit et tout lyrisme du mouvement qui restaient l'apanage de la danse moderne. Le premier pas artistique du butō consista ainsi à faire éclater l'ensemble des codifications attachées à la danse. Ōno Yoshito était issu du mime de l'école Decroux (transmis par Oikawa Hironobu) connue pour l'importance attribuée au torse, à l'absence totale d'expression du visage et des bras, ainsi que pour la construction analytique du mouvement, qui allait devenir également une des spécificités du butō. Hijikata trouva dans cette technique une manière de suspendre le temps dans le flux du mouvement.
Peu à peu, les grands traits qui[...]
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Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
Classification
Autres références
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BALLET
- Écrit par Bernadette BONIS et Pierre LARTIGUE
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