BUTŌ
La danse des ténèbres
Le mot butō désigne depuis le xixe siècle les danses étrangères de loisir, telles que la valse et le tango, importées au Japon. Dans l'écriture japonaise, il est composé de deux idéogrammes : le bu (le bu de kabuki), signifiant danse, et le tō, signifiant fouler aux pieds. Toutefois, ce terme n'est pas apparu immédiatement pour nommer ce style de danse. En effet, au départ, Hijikata l'appelle buyō – mot qui désigne la danse japonaise en général –, puis, à partir de 1960, ankoku buyō afin de caractériser une danse qui émane du royaume de la nuit ou bien de la caverne des origines et qui fait émerger le côté obscur de la nature humaine. Ankoku buyō est généralement traduit en français par « danse des ténèbres » (dark dance en anglais). Selon Motofuji Akiko, la seconde femme d'Hijikata, ce mot butō ne fut pas trouvé tout de suite, les discussions tournant plutôt autour de shikkoku (qui signifie noir comme du jais). Toujours est-il que le terme butō apparaît pour la première fois en 1962 sur un document publicitaire pour le spectacle Reda Santai (Les Trois États de Léda) où il est question de l'école d'ankoku butō d'Hijikata. Mais, dès l'année suivante, l'expression ankoku buyō est de nouveau utilisée. Il faudra attendre 1966 pour voir réapparaître, sur le programme de Tomato, l'ankoku butō qui sera ensuite abrégé en butō.
Jusqu'à sa mort, en 1986, Hijikata fera évoluer ce style de danse au fur et à mesure de ses recherches, jusqu'à la forme plutôt stéréotypée que nous lui connaissons aujourd'hui en Occident : corps nus blanchis, crânes rasés, visages grimaçants ou vêtements en lambeaux, cheveux longs, visages impassibles.
Auparavant, un autre homme va contribuer à donner au butō le rayonnement international qui est aujourd'hui le sien : Ōno Kazuo. Fasciné par la personnalité d'Hijikata, par sa faculté d'aborder des thèmes tels que la souffrance, l'avilissement ou la mort, par sa puissance dans l'évocation de l'érotisme, Ōno Kazuo abandonne sa propre recherche pour s'intégrer aux jeunes danseurs de l'ankoku butō. De 1960 à 1968, il participe à presque tous les spectacles expérimentaux d'Hijikata. Il est une lavandière dans Je veux aller en Algérie (1960) puis incarne Divine – prostitué travesti imaginé par Jean Genet dans son roman Notre-Dame-des-Fleurs – dans Sucreries – en quatre chapitres (1961). Il déconstruira le mouvement dans Anma (Le Masseur, 1963), participera aux scènes homosexuelles de Danse couleur rose (1965). En 1969, il arrête de danser jusqu'à ce qu'un souvenir de la Argentina (célèbre danseuse espagnole du début du xxe siècle, de son vrai nom Antonia Mercé y Luque) le pousse à remonter sur les planches : Hijikata réglera, en 1977, la chorégraphie d'Hommage à la Argentina pour Ōno, assurant à ce dernier une renommée internationale. Cependant, Ōno ne se pliera jamais tout à fait à la gestuelle proposée par Hijikata, ajoutant, dans chaque pièce, des improvisations de son cru. Plutôt solaire et serein, il n'adhérera jamais au côté ténébreux de l'ankoku butō. S'ils furent engagées dans la même aventure, Ōno et Hijikata n'en pratiquèrent pas moins deux butōs différents.
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Écrit par
- Agnès IZRINE : écrivaine, journaliste dans le domaine de la danse
Classification
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