BUTTERFLY VISION (M. Nakonechnyi)
La guerre dans les corps
Le film est donc radical, pudique, inventif. Puisque Lilia est identifiée comme spécialiste des images, qu’elle a combattu en tant qu’opératrice et qu’elle a payé si cher son engagement, les « défauts d’images », comme dit Nakonechnyi, font partie du film lui-même. Le réalisateur accorde beaucoup d’importance aux couleurs : ocre, jaune sale, kaki. Il affirme associer les tons du « camouflage militaire à l’espace de la vie civile ». Le tremblement, le flou, le décadrage, le changement de définition, la pixellisation, les points de vue verticaux du drone, souvent difficiles à décrypter, les échographies même, sont indissociables du récit. L’imprécision de cette imagerie est aussi présente dans les écrans des réseaux sociaux, le passage de l’horreur visuelle par Internet, sa propagande et ses images biaisées. Les nouveaux médias mettent à mal, violentent l’intimité de chacun : ici aussi, on retrouve le rôle central des images, la malfaisance qui naît de leur usage perverti.
Rita Burkovska, qui interprète le rôle de Lilia, a accompli un travail considérable. Elle s’est entretenue avec des combattantes. Elle a changé de poids plusieurs fois durant le tournage, s’est astreinte à écrire le journal intime de son personnage. Exposition des violences faites au corps de Lilia, tatouages, cicatrices, visage abîmé par l’angoisse, tendu par l’effort, la comédienne assume avec force les immenses difficultés de la représentation qu’exige le propos du film. Elle partage avec Maksym Nakonechnyi un travail sur la nuance dont le résultat constitue l’humanité profonde de Butterfly Vision.
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Écrit par
- René MARX : critique de cinéma
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