ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS (J. Pommerat)
Quatre heures trente de passions, de colères et de liesse, de tensions. Quatre heures trente de disputes, controverses et déclarations solennelles devant un public fasciné et tout ouïe. Ça ira (1) Fin de Louis, écrit et mis en scène par Joël Pommerat, se situe dans la continuité des grandes pièces sur la Révolution française, comme La Mort de Danton (Georg Büchner) ou 1789 et 1793 (Ariane Mnouchkine et le Théâtre du Soleil).
Créé en décembre 2015 au Théâtre des Amandiers de Nanterre, Ça ira (1) Fin de Louis a depuis été joué partout en France avant d’être repris dans ce même théâtre en septembre 2016. Quittant le registre intimiste qui est habituellement le sien, l’auteur et metteur en scène de Je tremble, Cercles/Fictions, Cendrillon ou La Réunification des deux Corées met en scène les prémices de cet événement célébré par Victor Hugo, dans Les Misérables, comme « le plus puissant pas du genre humain depuis l’avènement du Christ ».
L’histoire au présent
Le spectacle débute en 1788, avec la crise des finances et la banqueroute de l’État qui menace. Il s’achève en 1790, avec les premiers appels à la contre-révolution, au lendemain du retour du roi à Paris. Dans l’intervalle, tous les grands épisodes immortalisés par les manuels scolaires sont repris – écriture des cahiers de doléances, prise de la Bastille, émeutes, crise frumentaire et famine, constitution du tiers état en Assemblée nationale, nuit du 4 août... Mais le tout est conjugué au présent, au plus loin de la reconstitution pseudo-historique. Les costumes sont contemporains, la Bastille est rebaptisée la « prison centrale ». Hormis Louis XVI, les grandes figures (La Fayette, Mirabeau, Necker, Bailly…) n’apparaissent jamais et le Premier ministre s’appelle Müller. Marat et Robespierre sont simplement évoqués à travers une femme, la « députée » Lefranc. Vide de tout accessoire pouvant évoquer le xviiie siècle, le plateau se transforme, selon les circonstances, en comité de quartier, en parvis, ou en siège de l’Assemblée qui englobe la scène et la salle quand les députés s’adressent aux spectateurs comme s’ils étaient des leurs, surgissant de leurs rangs, s’y s’installant pour applaudir ou huer les tribuns.
Devenu partie prenante de cette révolution en marche, le public est invité à la vivre comme en direct et à questionner, dans l’instant réel du débat politique, la notion même de démocratie, à s’interroger sur ses principes, ses éventuels dévoiements, jusqu’à remettre en cause son fonctionnement. Doit-elle être autoritaire, parlementaire, participative ? Faut-il la confier au peuple ou à ses représentants, sincères ou démagogiques, volontiers accusés de n’être plus que dans « la séduction de la parole » – comme s’en plaint le sans-culotte d’un comité de quartier.
Au fur et à mesure que le spectacle progresse, les années 1780 sont montrées à la lumière des années 2000 – et vice versa. Des liens s’établissent entre les périodes de crise et de désarroi, quand l’économie et la société se délitent alors que, en même temps que la méfiance et les rejets qui en découlent, grandit la tentation de l’action violente : mise à mort d’un fermier général « accapareur » dans le Paris de 1789, affrontements dans les banlieues ou ailleurs, cette dernière décennie.
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix
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Média