ÇA IRA (1) FIN DE LOUIS (J. Pommerat)

À chacun sa parole

Cependant, Joël Pommerat se garde de tout raccourci facile. Si le passé et le présent se fondent, ils ne se confondent jamais, ouvrant à une réflexion sur le processus qui conduit à une révolution, la guide dans ses espérances, ses contradictions – « bourgeoise » ou « prolétaire », aux mains des pragmatiques, des réalistes, des jusqu’au-boutistes, des idéalistes –, défendue par la Plaine ou la Montagne, les Indulgents ou les Enragés.

L’écriture et la mise en scène de Ça ira ont nécessité deux ans de recherches, de lectures, d’étude d’archives. Joël Pommerat s’est appuyé sur sa dramaturge Marion Boudier et un historien qui l’a conseillé, Guillaume Mazeau, tout autant que sur les comédiens qui l’ont accompagné au cours de ce travail, le nourrissant de leurs improvisations. Ils sont quatorze, pour la plupart ses complices depuis plusieurs années : Yvain Juillard, Philippe Frécon, Saadia Bentaïeb, Agnès Berthon, Anne Rotger, Ruth Olaizola…

Prodigieux de vérité, ils ne font qu’un avec leurs multiples personnages, tout à la fois ministres, députés, aristocrates, gens du peuple… Enflammés, épuisés de fatigue par tant de luttes et tant de discussions, au point d’en venir aux mains, ils s’attribuent leurs sentiments, rendent à chacun sa parole en la faisant sienne au fil de séquences d’anthologie, émouvantes, cocasses, tragiques : ici, c’est le tiers état se proclamant Assemblée nationale ; là, une réunion de comité de quartier prêt à renverser ses représentants ; l’accueil de Louis XVI par la foule, façon show-business, avec animateur, lumières et musique tonitruante. Une femme du peuple veut son « selfie » avec le roi, après l’avoir imploré de revenir à Paris. Cependant, le moment le plus bouleversant reste l’élaboration balbutiante de la Déclaration des droits de l’homme. Quand, cherchant la plus juste formule, un député, en même temps qu’il proclame « le droit au bonheur pour chacun », déclare à la tribune : « la nature a créé les hommes libres et égaux ».