CABINET DE CURIOSITÉS ou WUNDERKAMMER
L’objet magnifié
Les premières collections de singularités mémorables, réunies dans des églises, enchâssaient des reliques dans des ostensoirs fastueux et suspendaient aux voûtes des crocodiles gigantesques ou des os de baleine, parfois considérés comme des os de géants ou de dragons. Lesreliquesrappelaient aux fidèles les actes valeureux d’un saint local les ayant délivrés du mal et de la bête immonde, désormais enchaînée mais toujours effrayante. Exorciser l’effroi en l’accrochant au mur, immobiliser l’étrangeté sur une étagère, s’approprier l’énigmatique pour le dompter restent des modèles partagés par les premiers cabinets de curiosités. De fait, la mise en scène d’un crocodile suspendu au plafond reste un invariant longtemps reconnaissable dans les expositions de curiosités.
Au xviie siècle, la représentation s’uniformise encore dans le sens d’un assortiment esthétique pluriel manifesté sur les nombreux tableaux – tous très ressemblants – des « cabinets d’amateur » réalisés par les Francken aux Pays-Bas : les murs où s’alignent des tableaux à sujets religieux ou mythologiques sont ponctués d’accrochages d’hippocampes et d’animaux naturalisés, les tables croulent sous les globes terrestres, les monnaies antiques, bijoux, statuettes ou coquillages, tandis que de nobles visiteurs achètent peut-être des objets ou échangent des propos savants.
Au début du xxie siècle, la muséographie s’empare du modèle de l’accrochage foisonnant qui séduit sans doute pour son éclectisme anticonformiste et peu soucieux, en apparence, des règles de l’académisme. L’art contemporain y trouve son compte dans des installations privilégiant à la fois la sérialité de la collection, l’hybridation des formes et le mystère de certains appariements énigmatiques : le château d’Oiron a donné ce cahier des charges aux artistes sollicités pour l’occuper, le musée de la Chasse et de la Nature s’en inspire. Certaines expositions emboîtent le pas, plongeant éventuellement le visiteur dans une pénombre qui renforce le caractère déconcertant des choix et insiste sur la surprise des juxtapositions (Bêtes off à la Conciergerie de Paris en 2012, Carambolages au Grand Palais en 2016).
Pénétrant plus encore dans l’espace public, le cabinet de curiosités est devenu un véritable phénomène de mode dont chacun est incité à s’emparer grâce à des méthodes déclinées dans les boutiques de décoration ou dans les magazines. Cette dérive marchande et décorative répond sans doute à un goût accru pour l’exposition de soi, esthétisée et fortement individualisée, s’épanouissant à travers une patrimonialisation personnelle non prescrite par l’histoire de l’art. C’est assurément soi-même que l’on met en scène à travers ce goût pour l’hétéroclite. Ce retour des cabinets de curiosités dit enfin à sa manière la puissance, dans la société de consommation, de l’objet « culte ».
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Écrit par
- Myriam MARRACHE-GOURAUD : maître de conférences en littérature française de la Renaissance, université de Bretagne occidentale, Brest
Classification
Médias
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