CAHIERS DU CINÉMA
La plus ancienne et la plus connue des revues de cinéma paraissant en France. Son ancienneté même et la diversité des tendances critiques qui s'y sont succédé rendent difficile toute description (et a fortiori tout jugement) synthétique. La caractéristique la plus constante de la revue est peut-être précisément de s'être toujours située en rupture par rapport à l'ensemble de la critique de cinéma (même si les bases, politiques et théoriques, de cette rupture n'ont cessé d'évoluer). C'est pourtant sous le signe de la continuité que les Cahiers du cinéma, fondés en avril 1951 par Lo Duca (plus tard remplacé par Éric Rohmer), Jacques Doniol-Valcroze et Léonide Keigel, se définissent d'abord comme les successeurs fidèles de Jean-Georges Auriol et de sa Revue du cinéma, disparue en 1948. Jusque dans le détail de la présentation, avec la célèbre couverture jaune (seule nouveauté : la photo de couverture), les différences, d'une revue à l'autre, sont imperceptibles. Du moins dans les premiers numéros. Car, dès 1952, et de plus en plus jusqu'à la fin des années 1950, les Cahiers deviennent le support d'une ligne critique, la « politique des auteurs », qui influencera plus ou moins toute une partie de la théorie et de la pratique du cinéma en France. Aujourd'hui encore, l'idée d'auteur, passée dans les mœurs critiques, continue d'être le concept de base de la plupart des critiques.
La politique des auteurs, quant à elle, se fondait d'abord, bien sûr, sur la notion d'auteur, donc de mise en scène, « organisation des êtres et des choses qui est à elle-même son sens, je veux dire aussi bien morale qu'esthétique », pour reprendre la formule d'André Bazin. Mais, pour l'équipe des Cahiers de l'époque (les Rivette, Truffaut, Godard, Douchet), l'auteur n'existe qu'en référence à la politique en question, qui est justement le choix de tels réalisateurs déclarés auteurs contre tels autres : disons, Hitchcock et Hawks contre Brooks ou Zinnemann. À côté de quelques cinéastes universellement reconnus, comme Welles, Renoir ou Rossellini, que les Cahiers admiraient, à la suite de Bazin, pour leur « respect du réel », leur « authenticité », la liste des auteurs comportait surtout, et en petit nombre, des cinéastes discutés, comme le dernier Lang, ou considérés comme mineurs (Hawks). Défendus sur un mode souvent métaphysique (« Le génie de Howard Hawks procède de l'évidence », écrit par exemple Rivette), au nom d'un aristocratisme à peine dissimulé, ces choix se révéleront esthétiquement payants. Par rapport à une critique qui défendait, au mieux, un cinéma engagé, d'ailleurs bien mal représenté, la ligne des Cahiers, aussi indéfendable soit-elle sur le plan politique, a bien été l'un des principaux moteurs de la vague de jeunes cinéastes français des années 1958-1962 (la nouvelle vague, où la plupart des rédacteurs des Cahiers, et ce n'est pas un hasard, jouent un rôle prépondérant), en prêchant (d'exemple) une saine réaction contre l'académisme figé où flottait alors le cinéma français.
Le contrecoup du départ des principaux rédacteurs, devenus cinéastes (et de la mort d'André Bazin en 1958), coïncidant avec le début du déclin du cinéma hollywoodien classique, met à mal la politique des auteurs, qui devient tantôt un fourre-tout (de Minnelli à Cottafavi), tantôt le dernier atout de fanatiques purs et durs de la mystique hollywoodienne (le Mac-Mahon et son « carré d'as » : Preminger, Lang, Losey, Walsh). Dans le contexte morose du gaullisme finissant, les Cahiers, dont l'équipe se renouvelle entièrement au cours des années 1960, se politisent lentement. D'abord, et pendant un assez long moment, par le biais du cinéma : c'est l'époque, vers 1965,[...]
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Écrit par
- Jean-Louis COMOLLI : réalisateur et critique de cinéma
Classification
Média
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