CAILLEBOTTE. PEINDRE LES HOMMES (exposition)
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L’exposition Caillebotte. Peindre les hommes se tient du 8 octobre 2024 au 19 janvier 2025 au musée d’Orsay. Conçue en lien avec le J. Paul Getty Museum (Los Angeles) et l’Art Institute of Chicago, elle oriente délibérément l’intérêt vers un aspect que Partie debateau (1877-1878 ; musée d’Orsay, Paris), toile classée « trésor national » et acquise en 2022, ne saurait démentir : la place des hommes dans une œuvre qui se réclamait d’une « nouvelle peinture ».
Un art célibataire ?
On redécouvrait, lors de la rétrospective que le musée d’Orsay avait consacrée à Gustave Caillebotte en 1994, un peintre longtemps tenu pour secondaire, voire oublié. On doit pourtant à cet homme fortuné et fidèle soutien de ses amis artistes l’essentiel d’un patrimoine, celui du fameux « legs Caillebotte », qui permit aux impressionnistes de trouver place dans les collections nationales. Cette proximité, Le Bal du moulin de la Galette d’Auguste Renoir intégré à l’Autoportrait au chevalet (1879-1880 ; collection particulière) la démontre à la manière d’une véritable profession de foi. À l’époque, la modernité des sujets, l’inventivité formelle, la perspective, la photographie, l’histoire sociale ainsi que le retour d’intérêt pour les réalismes pouvaient expliquer une réhabilitation aussi soudaine que tardive.
En 2024, changement de pied, l’œuvre de Caillebotte se prête à une interprétation qui vise à intégrer la question du genre dans une perspective culturelle impliquant une recherche documentaire renouvelée. Le catalogue de cette exposition en apporte la preuve sur de nombreux points. Les portraits, notamment, soulignent la présence dominante de modèles célibataires faisant partie d’un cercle d’amis dans un périmètre rapproché de l’appartement du 31 boulevard Haussmann ou de la maison du Petit-Gennevilliers. Certains tableaux plus que d’autres deviennent alors les révélateurs de cette conception d’ensemble, tels Partie de bésigue (1880 ; Louvre Abu Dhabi) ou Homme au bain (1884 ; Museum of Fine Arts, Boston), après Les Raboteurs deparquets (1875 ; musée d’Orsay, Paris)et les scènes de canotage ou de baignade dans la proximité de la propriété d’Yerres. Un tel parti ne manque pas d’être justifié par les faits : Caillebotte ne propose pas une représentation de la féminité en accord avec l’enjeu qu’elle peut représenter si on pense à Argenteuil d’Édouard Manet ou aux Repasseuses d’Edgar Degas. Au contraire, ce sont des hommes qui donnent, par exemple depuis un balcon, une idée neuve du Paris haussmannien (Jeune homme à sa fenêtre, 1876 ; J. Paul Getty Museum, Los Angeles). Cette position, à la suite d’intérieurs comme celui du Déjeuner (1876 ; coll. part.) ou de Jeune hommeau piano (1876 ; Artizon Museum, Tōkyō), ne fait que renforcer la question du regard masculin sur une société qui fait l’expérience de la République.
Caillebotte intéresse par tout ce qu’il met en évidence, y compris et même surtout, quand il représente à l’occasion un personnage féminin. Il faut reconnaître que le couple d’Intérieur, femme lisant (1876 ; coll. part.) évoque en termes inédits la conception des relations conjugales déjà abordées par Degas. Intérieur, femmeà la fenêtre (1880 ; coll. part.) amplifie la question en représentant le personnage de dos à côté d’un homme que l’on a tendance à prendre pour son époux. Rue de Paris ; temps de pluie (1877 ; Art Institute of Chicago) ne pouvait pas ne pas être au centre de cette exposition. Il l’est en raison même de la présence d’un couple qu’on pense légitime dans un quartier qui ne saurait être que le sien. Ce qui peut sembler une convention de la vie bourgeoise est en réalité une invention majeure, dans la mesure où se trouve dissipée l’idée banale d’un portrait au profit d’un nouvel espace urbain dont la pluie[...]
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Écrit par
- Éric DARRAGON : professeur émérite d'histoire de l'art contemporain à l'université de Paris-I-Panthéon-Sorbonne
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