BRYEN CAMILLE (1907-1977)
Peintre, poète et créateur d'objets, qui se plaçait dans la ligne de Dada. Il a persisté à travers une œuvre dont l'évolution, au cours des années, fut pourtant considérable. Des premiers poèmes d'Opopanax (1927) aux grandes toiles discrètes et impressionnistes d'après la guerre, un cheminement s'est opéré vers la sérénité et le silence.
Né à Nantes, Camille Bryen s'est fixé à Paris en 1926 où il meurt en 1977. On a souvent évoqué son enfance et son adolescence, déjà noctambules, dans les ruelles du port. À Paris, ses promenades le mènent à la rencontre de Tzara, de Duchamp, de Picabia et de Arp. Son activité est alors essentiellement poétique et l'expression de sa révolte partage avec celle de Dada le goût de concasser le langage.
Pourtant, l'écriture doit lui sembler insuffisante : il se met bientôt au dessin et au collage. Il affirme : « Je dessine pour ne pas écrire. » Une plaquette publiée en 1932, et intitulée Expériences, recueille les traces de ses activités multiples – poèmes, dessins, collages, essais – en insistant sur une idée, sans doute dadaïste, mais qui, par-delà le surréalisme, fera son chemin : l'art est une conduite, une activité de l'esprit, non un ensemble de produits pouvant servir de marchandises.
Bryen est un artiste qui réfléchit sur la valeur de l'activité créatrice, quand elle est en même temps contestation. Plusieurs conférences en témoignent, de 1934 à 1943. La première a lieu à la Sorbonne et traite de L'Automatisme ; les deux suivantes, également à la Sorbonne, portent sur Poésie et Connaissance (1935) et sur L'Aventure des objets (1937). En 1938, il parle de L'Occulte sans occulte et, en 1943, à Lyon, de L'Esprit dada. Les titres de ces conférences indiquent suffisamment dans quel esprit Bryen, marginal du surréalisme, aborde les problèmes posés par l'agitation artistique de l'époque.
L'Aventure des objets, qui fut une conférence mémorable et qui donna son titre à un recueil de photographies (José Corti, 1937), rend compte d'une phase essentielle dans l'évolution de Bryen : de 1934 à 1937, il se consacre à peu près exclusivement à des « objets à fonctionnement symbolique ». Fort différents de ceux de Giacometti à la même époque, plus éloignés encore de la froideur ironique des ready-made de Duchamp ou des objets de Man Ray, les objets de Bryen sont nettement oniriques. Des taches de matière, notamment de bougie (Fantôme de Sade, 1934), des effets de brûlage (La Broderie du feu, 1934) enrichissent ces montages complexes, qui souvent intègrent leur propre luminaire (Morphologie du désir, Les Seins grecs). Bryen est allé dans la forêt de Meudon accrocher au tronc d'un arbre Le Sein de la forêt (1935), charmant moulage prolongé d'une cuiller. Les thèmes relatifs à la nutrition infantile et à l'érotisme anxieux se mêlent à des évocations de la mort (États de la mort) qui se veulent dégagées de l'obsession morbide par une sorte de fabulation opératoire : dans nombre des objets de Bryen, il faut appuyer sur un bouton électrique, ouvrir un robinet, etc. En cela, ils participent d'une attitude très nette de Bryen en sa première période : il fut un précurseur du process art.
Or, cette activité, qui se glisse entre l'esprit dada et l'esprit surréaliste, débouche dès 1936 sur des procédés de liberté plastique, qu'on appellera plus tard tachistes.
Bryen expose Cire et Fumée au Salon des surindépendants en 1936. La même année, il signe avec Arp, Delaunay, Duchamp et Picabia un manifeste « dimensionniste ». Il signera en 1945 un autre manifeste, avec Artaud, Breton et quelques autres, Les Brûlots de la peur. Son goût des idées (et des mots) est tel que vers 1952, avec Audiberti, il se fera le zélateur de « l'abhumanisme », dans [...]
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Écrit par
- René PASSERON : directeur de recherche honoraire au C.N.R.S., président de la Société internationale de poïétique, membre de l'Académie internationale de philosophie de l'art, Genève
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