COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE (1796-1875)
Zola voyait en Corot un précurseur de Pissarro et de Jongkind, le premier à avoir rompu avec le paysage classique hérité de Poussin, pionnier de la peinture de plein air et du “sentiment vrai [...] de la nature” (Mon Salon. Les paysagistes, 1868). Ce jugement, fondé essentiellement sur les paysages de la dernière manière de l'artiste, ne rend pas compte de l'originalité véritable de Corot. Un “pleinairisme” avant la lettre se pratiquait depuis longtemps – chez Alexandre François Desportes (1661-1743), chez le Gallois Thomas Jones (1743-1803). À l'inverse, une toile comme Souvenir de Mortefontaine (1864, musée du Louvre) renoue, tard dans le siècle, avec le classique paysage composé en atelier, peuplé de figures de convention, dont le jeune Corot passe pour avoir été le fossoyeur. Jusqu'à la fin de sa vie, Corot resta un classique. La révolution dont on le crédite dans l'art du paysage s'inscrit en fait dans la logique amorcée par Pierre-Henri de Valenciennes (1750-1819) et par les tenants du “paysage historique” de la fin du xviiie siècle. Les études italiennes peintes par ce fils de commerçants parisiens, parti pour Rome à ses frais, entre 1825 et 1828, affichent un refus quelque peu ambigu de l'“histoire”, s'attachent à une nature très construite, géométrisée, souvent urbaine. Elles renouvellent le genre de la veduta, vue stéréotypée peinte pour une clientèle de touristes. Attentif à toutes les innovations – pratiquant parmi les premiers (1853) la technique du cliché-verre qui consiste à dessiner sur une plaque photographique, tirée ensuite sur papier sensible –, Corot resta un esprit libre, jouant les autodidactes naïfs, en marge des courants artistiques de son temps.
Corot et l'école du “paysage historique”
Les Salons très politisés de l'époque révolutionnaire ont paradoxalement consacré en France le succès du paysage et du portrait. La production dans ces domaines – à Paris, en province, dans le groupe européen des artistes vivant à Rome – accompagne un relatif désintérêt du public pour la peinture d'histoire officielle. Élève d'Achille-Etna Michallon (1796-1822), premier lauréat du prix de Rome de paysage historique, institué à l'instigation de Valenciennes, et qui marqua officiellement la reconnaissance académique d'un genre tenu pour mineur depuis le xviie siècle, passé après la mort de Michallon dans l'atelier de Jean-Victor Bertin (1767-1842), Jean-Baptiste Camille Corot apprit à travailler sur le motif pour composer ensuite, en atelier, des paysages qui servent de décor à une action historique, biblique ou mythologique. La technique de l'époque est simple : l'artiste dessine en plein air, peint sur le motif des “études” à l'huile sur carton. Ces matériaux sont nécessaires à l'élaboration des compositions exposées ensuite, qui n'ont qu'un rapport lointain avec le réel. Toute sa vie, Corot s'adonna à ce genre noble, qui rattache le paysage à la “grande peinture”. Un tableau comme Agar dans le désert (1835, Metropolitan Museum, New York) est construit en reprenant des éléments (arbres, rochers) étudiés en divers lieux. Tant Homère et les Bergers (1845, musée de Saint-Lô) que le Baptême du Christ (1845-1847, église Saint-Nicolas-du-Chardonnet, Paris) témoignent de cette volonté de prolonger, dans la composition autant que dans les sujets eux-mêmes, une tradition.
Dans ses œuvres tardives, alors que le paysage historique est un genre démodé, que le prix de Rome en cette section avait été supprimé (1863), Corot continue de peindre des divinités dans les forêts imaginaires qu'il prétend représenter “de souvenir” (Une matinée, danse des nymphes, 1860, musée d'Orsay). On peut donc interpréter ses dernières œuvres comme l'affirmation, à contre-courant, de la pérennité[...]
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Autres références
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