COROT JEAN-BAPTISTE CAMILLE (1796-1875)
Les “études”
Quand Corot s'emploie en revanche à peindre dans des sites obligés, il en renouvelle la vision (Le Colisée vu de la basilique de Constantin, musée du Louvre). Faites pour rester à l'atelier, pour servir d'aide-mémoire, ces études fixent un instant de la journée, un éclairage. Utiles à l'artiste et à ses élèves, ces tableautins que l'on n'encadrait pas décoraient au retour les murs des ateliers (voir l'arrière-plan de La Dame en bleu, 1874, musée du Louvre). On les conservait rarement après la mort des artistes. Il est donc original, en ces années, de s'affirmer comme un maître de l'étude peinte. Corot acquiert une renommée certaine dans le milieu cosmopolite des paysagistes qui travaillent alors dans la campagne romaine, mais, comme les Britanniques, les Allemands, les Nordiques avec lesquels, dans le petit groupe français, il travaille, il se place lui aussi dans les sites pittoresques. On reconnaît son habileté, nul ne le juge “révolutionnaire”.
C'est l'idée de montrer à tous de telles pochades, comme Corot lui-même les nommait, de les considérer comme des œuvres achevées, susceptibles d'être exposées, qui constitue sans doute la révolution opérée par l'artiste. À une époque où son ambition reste d'envoyer au Salon un grand paysage composé, conçu strictement selon les normes du temps (Le Pont de Narni, 1827, National Gallery, Ottawa), il n'a sans doute aucune conscience de la valeur que le goût des années suivantes accorderait à une production mineure, très abondante, mais clairement en marge de son métier. Si révolution il y a, elle intervient tardivement : ce n'est qu'en 1849 qu'il expose au Salon la Vue du Colisée, peinte en 1826, et qu'à sa mort il légua au Louvre. Le tableau fait partie d'un “triptyque” (avec Le Forum, musée du Louvre, et Vue des jardins Farnèse, Phillips Collection, Washington), qui constitue à la fois un hommage à la classique peinture de ruines, de tradition romaine, et un regroupement d'études montrant un même lieu, sous des angles différents, à trois moments de la journée. Commencées en plein air, élaborées en plusieurs séances, de telles toiles sont retravaillées en atelier, notamment dans les frondaisons, pour en accentuer de manière artificielle le caractère spontané. Le regard du peintre sur la Rome antique, considérée comme un paysage comme un autre, était neuf en 1826 ; le regard du spectateur de 1849, qui a appris à voir des paysages sans figures mythologiques, qui ne racontent rien et prétendent à la vérité, l'est tout autant.
Tout au long de ses voyages en France (outre le séjour italien de sa jeunesse et les deux voyages qu'il fit à nouveau dans la péninsule en 1834 et en 1843), Corot multiplie les “vues”, naïves en apparence, de ce qu'il voit de sa fenêtre ou du bord d'un chemin (Orléans et la tour de Saint-Paterne, 1843, musée de Strasbourg). Pourtant, la culture visuelle de celui qui s'habille comme un paysan pour arpenter la campagne et prétend tout ignorer des maîtres est réelle. À Rome, il avait peint, comme un hommage, une vue des berges du Tibre, sans personnage, La Promenade du Poussin (1826-1827, musée du Louvre). Son Odalisque romaine (Marietta, 1843, Petit Palais) invoque Ingres. La Jeune Fille à la perle (1869, musée du Louvre) emprunte sa pose à la Joconde. Corot a donc conscience d'inscrire sa peinture dans une histoire de l'art. Ses révolutions ont toujours été faites dans la voie que ses maîtres lui avaient désignée : faire reconnaître la dignité du paysage ; montrer, grâce à ses figures et à ses portraits (Claire Sennegon, 1838, musée du Louvre), qu'il n'est pas qu'un paysagiste.
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Écrit par
- Adrien GOETZ : agrégé de l'Université, ancien élève de l'École normale supérieure, maître de conférences à l'université de Paris-IV-Sorbonne
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Médias
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