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CELA CAMILO JOSÉ (1916-2002)

L'œuvre romanesque

Virtuose des techniques narratives, Cela a horreur de la répétition. Aux critiques déroutés par ses innovations il oppose cette définition : « Le roman c'est tout ce qui, édité sous forme de livre, admet sous le titre, et entre parenthèses, le mot de roman. » Prise au pied de la lettre, cette formule revendique pour le romancier une liberté absolue qu'il met en œuvre de son premier à son dernier roman.

La Familia de Pascual Duarte (La Famille de Pascual Duarte, 1942) est le récit écrit en prison, par un paysan d'Estrémadure, condamné à mort pour le meurtre de sa mère. À la mémoire du narrateur tout affleure, impitoyablement : l'enfance de misère, les parents monstrueux, la sœur prostituée, le frère dégénéré, les scènes sordides. Ce voyage halluciné au centre de l'horreur, publié sous le régime franquiste, heurta de plein fouet la conscience officielle. La censure n'intervint pas ; mais, désormais, le jeune écrivain fut tenu à l'œil. Le livre connut un succès éclatant. Il inaugurait en Espagne une ère nouvelle pour le roman, que l'on appela el tremendismo (de tremendo, terrible). Au-delà du réalisme ou de la dénonciation sociale, l'auteur mettait à nu, avec une maîtrise admirable du style, la racine du mal ou sa cynique absurdité, à l'instar de L'Étranger de Camus dont on a souvent rapproché ce premier livre.

La trajectoire romanesque de Cela s'écrit en lignes brisées. Pabellón de reposo (Pavillon de repos, 1943) a pour décor un sanatorium. Les monologues des pensionnaires, égrenant leurs rêves et leurs angoisses, constituent le thème de ce roman « de l'inaction ». La technique narrative change encore dans Nuevas Andanzas y desventuras de Lazarillo de Tormes (Nouvelles Aventures et mésaventures de Lazarillo de Tormes, 1944) qui se situe dans le droit-fil du roman picaresque.

La publication de La Colmena (La Ruche, 1951) fit sensation. Les censeurs franquistes avaient rejeté la première version, ainsi appréciée : « L'œuvre est franchement immorale, parfois pornographique et, à l'occasion, irrespectueuse. » La première édition parut à Buenos Aires, mais circula vite en Espagne, avant sa publication officielle en 1962. Le livre met en jeu les vies de nombreux personnages, dont les fils bigarrés, lamentables ou puérils, s'entrecroisent pour brosser la fresque d'un microcosme ; une ville, Madrid, saisie dans l'âpre et dure vérité de l'après-guerre. Cette « structure kaléidoscopique », le grouillement des personnages fictifs ou copiés de la réalité, l'imbroglio de leurs destinées, la multiplication des points de vue et des éclairages, la réduction de la durée de l'action à deux jours de l'hiver de 1942, tout contribue à donner de façon intense et impressionnante l'illusion d'une vie collective. Tournures populaires, dialogues percutants, verve débridée, style haletant : voilà quelques aspects de la langue de ce roman, dont on a pu dire qu'elle en était le véritable protagoniste. Ni argument ni dénouement : le halo d'incertitude qui enveloppe cette « ruche » humaine contribue à l'inquiétude ou à l'émotion que suscite ce livre étonnant, proche de Manhattan Transfer de J. Dos Passos ou de Contrepoint d'Aldous Huxley. Mais l'influence la plus immédiate est sans doute la technique de l'esperpento (stylisation déformante) mise au point par Valle-Inclán, à qui Cela doit beaucoup.

À l'opposé du réalisme déchirant de La Ruche, c'est dans le domaine de l'imagination onirique que le lecteur est entraîné avec Mrs. Caldwell habla con su hijo (Mrs. Caldwell parle à son fils, 1953). Au bord de la folie, une mère adresse à son fils mort le pathétique monologue de sa passion hallucinée. L'argument tragique de La Catira (1955)[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite des Universités, membre correspondant de la Real Academia Española

Classification

Média

Camilo José Cela - crédits : Leonardo Cendamo/ Getty Images

Camilo José Cela

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