CAMPESINOS
Les campesinos sont des ouvriers agricoles qui travaillent sur les grandes plantations californiennes. Venant en fraude des Philippines ou du Mexique, ils rejoignent les chicanos, Américains d'origine mexicaine, et forment un sous-prolétariat soumis aux fluctuations de l'embauche quand en 1965 se déclenche une grève qui durera cinq ans.
À cette époque, Luis Valdez, chicano, fils d'ouvrier agricole, est comédien dans un groupe d'agit'prop, la San Francisco Mime Troup, qui travaille à partir d'improvisations sur le modèle de la commedia dell'arte. Luis Valdez prend contact avec la N.E.W.A. (National Farm Worker Association), qui s'est jointe au mouvement de grève, et forme un petit groupe militant qui parcourt les campagnes dans un camion, jouant sur la plate-forme même de courts spectacles didactiques très simples : les actos. Ils parlent chicano, mélange d'espagnol et d'anglais argotique. Ils jouent pour ces opprimés, décrits trente ans auparavant par Steinbeck dans Les Raisins de la colère. Cette fois, il ne s'agit pas de les raconter, mais de leur parler.
C'est ainsi que naît le Teatro Campesino qui ne cesse de participer à l'existence des grévistes que pour aller en ville jouer devant les sympathisants et gagner de quoi vivre. Ses membres ne reçoivent ni bourse ni subvention et, bien évidemment, il est hors de question pour eux de faire payer leurs spectacles aux ouvriers, parmi lesquels Valdez trouve ses comédiens. Son répertoire s'élargit à des pièces plus longues que les actos ; ce sont alors des sortes de farces épiques, tirées de l'histoire du peuple chicano et destinées à lui faire prendre conscience de son identité. Dans l'un et l'autre cas, Valdez écrit les textes et construit les spectacles. Il repousse le naturalisme, fait reconnaître la réalité à travers la fable, la métaphore, la caricature à travers des signes visuels immédiatement lisibles (par exemple, des pancartes jaunes pour les briseurs de grève, un masque de cochon pour le patron). Il transmet une morale optimiste qui doit encourager à poursuivre la lutte.
En 1968, le Campesino participe au festival organisé à New York par le Radical Theatre Repertory et rassemblant toutes les troupes expérimentales et politiques. En 1969, il est invité au festival de Nancy. Il vient pour la première fois en Europe et y retourne régulièrement. À l'époque, on s'interroge sur le théâtre populaire. On ne veut plus amener le peuple au théâtre mais le théâtre au peuple, à l'exemple de Valdez, déclarant : « Trouvez des formes adaptées à vos problèmes. » Mais il suscite plus d'imitateurs que de disciples. D'innombrables spectacles à pancartes fleurissent, qui n'atteignent pas la qualité théâtrale et l'impact du modèle.
La grève des ouvriers agricoles prend fin. Valdez installe un « centre culturel campesino » dans un village, San Juan Bautista. Là, on vit en famille, en élevant de la volaille et du bétail et en cultivant la terre. On fait du théâtre, de la musique, de la peinture, de la video et des films. L'hiver et l'été, on travaille en atelier ; le reste du temps, on part en tournée dans la Californie, le Sud ou en Europe. La troupe ne touche toujours aucune subvention.
Valdez collabore avec les troupes de guérilla culturelle qui s'attachent à faire « revivre l'âme indienne ». En même temps, l'exploration de l'âme chicano se double, pour le Campesino, d'une interprétation critique de la société contemporaine, dans des spectacles tels que La Fin du monde (1973), Zoot Suit (1978), Je n'ai pas à vous montrer de papiers (1986).
Luis Valdez, détaché des campesinos, qui ont fait seuls une tournée en Europe, a travaillé à New York, sur Broadway. Comme metteur en scène de cinéma, il a dirigé Zoot Suit (1981) et La Bamba[...]
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Écrit par
- Colette GODARD
: journaliste et critique dramatique au journal
Le Monde
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