CANAUX
Les canaux et le paysage
Considérer les canaux – ouvrages techniques – comme des paysages peut sembler paradoxal. Il est en tout cas indéniable que les canaux créent un paysage. D'une part, ils parcourent les milieux ruraux et urbains, les façonnent en profondeur, surtout quand ils sont accompagnés de nombreux ouvrages (barrages, rigoles, souterrains, ponts-canaux...). D'autre part, ils dessinent un paysage intérieur, défini horizontalement par le miroir de l'eau, et latéralement par les plantations d'alignement, les passages en fosse, les ouvrages d'art et les architectures d'accompagnement. Leur parcours est scandé par le rythme régulier des écluses, par les ponts qui les franchissent, par des entrées de souterrains, par le déroulement continu des paysages traversés.
Les canaux construisent le paysage par leurs tracés déterminés par des critères techniques et esthétiques. L'exemple des canaux à point de partage est le plus éloquent. Ils apparaissent dans le territoire comme des rivières sortant de leurs vallées pour franchir des cols, à la manière des routes, tout en entraînant leurs eaux avec eux. Ils apparaissent inopinément au fond de tranchées et disparaissent dans des souterrains. Le problème le plus remarquable est celui des seuils de partage. Franchir un seuil sans recourir à un souterrain, c'est s'astreindre à multiplier le nombre des écluses et s'exposer à ne plus trouver d'eau (les possibilités d'en capter se faisant plus rares). Abaisser artificiellement le bief de partage, c'est faciliter l'alimentation en eau mais augmenter les travaux de terrassement. De cette dialectique entre négociation avec le relief et recherche de l'alimentation en eau naissent des tracés, quelquefois étonnants, qui constituent en eux-mêmes des paysages.
À ces considérations techniques qui ont des implications sensibles sur le paysage (canal et rigoles étant en outre plantés) s'ajoutent des préoccupations esthétiques. Un débat opposant, à la fin du xviiie siècle, les ingénieurs J.-R. Perronet, et E.-M. Gauthey, à propos du tracé à adopter pour le canal de Bourgogne entre Dijon et la Saône, est révélateur à cet égard. Le premier souhaite un alignement unique, mais le second lui fait remarquer que les avantages attendus d'une belle ligne droite seront abolis par la présence des écluses dont les chutes couperont la perspective d'ensemble : à un argument esthétique est opposé un argument de même nature.
Le paysage intérieur des canaux est tout aussi remarquable. La rencontre d'échelles différentes, celle que définissent le miroir d'eau et les plantations d'alignement, avec leur ambiance confinée, et celle des échappées sur les campagnes, permet des comparaisons saisissantes. Quand le canal disparaît par des souterrains mystérieux ou s'envole au-dessus de vallées majestueuses, il provoque l'émerveillement. Les contemporains des premiers grands ouvrages en ont été frappés. Le voyageur anglais A. Young fait un détour pour visiter l'effrayant souterrain entrepris par J.-J. Laurent (en 1768) pour le canal de Picardie. L'ingénieur J. Phillips, en 1792, décrit ainsi le pont-canal de l'Irwell (Bridgewater Canal) : « L'ensemble forme un spectacle qu'on ne peut se lasser d'admirer. On voit des bateaux franchir la vallée sur un canal comme suspendu dans les airs, pendant que de grands bâtiments passent à pleines voiles sur l'Irwell, et sous le canal comme sous un pont magnifique. »
Les plantations d'alignement entrent pour beaucoup dans la formation du paysage des canaux, de celui des routes également. Leur présence s'explique d'abord par des raisons techniques et économiques. Il s'agit d'une politique poursuivie en France depuis Sully et relancée au xviiie siècle par les ingénieurs des[...]
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Écrit par
- Pierre PINON : professeur honoraire à l'École nationale supérieure d'architecture de Paris-Belleville
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