CANCER Cancer et santé publique
Épidémiologie des cancers
Les enquêtes étiologiques
Au début du xxe siècle, on avait observé de nombreux cas de cancer de la vessie chez les ouvriers d'usines chimiques fabriquant certains colorants, ainsi que des leucémies et des cancers de la peau chez les pionniers de la radiologie. C'était la preuve que, chez l'homme comme chez l'animal, des agents chimiques ou physiques peuvent provoquer des cancers, mais ces observations restaient anecdotiques et de tels mécanismes semblaient exceptionnels.
Les premières enquêtes épidémiologiques ayant démontré, à l'échelle de la population, l'importance prééminente de facteurs extérieurs à l'organisme sont celles qui concernent le tabac. Entre 1930 et 1950, devant l'extraordinaire augmentation de la fréquence du cancer du poumon, les cancérologues suspectèrent les gaz d'échappement des automobiles et le bitume des routes. Il fallait en faire la preuve. En 1950, les médecins britanniques Richard Doll et Bradford Hill interrogèrent 650 malades atteints de cancer du poumon et 650 sujets témoins hospitalisés dans le même établissement pour d'autres affections. Il apparut que les deux groupes ne différaient que par un seul caractère : 96 p. 100 des cancéreux étaient ou avaient été des fumeurs, contre 80 p. 100 dans le groupe témoin. De plus, le nombre moyen de cigarettes fumées était légèrement plus grand chez les premiers que chez les seconds. Sur ces critères, ils conclurent au rôle cancérogène du tabac, déduction qui fut accueillie avec scepticisme. Cependant, d'autres enquêtes concordantes furent rapidement publiées ; de plus et surtout, des enquêtes prospectives, au cours desquelles plusieurs dizaines puis centaines de milliers de sujets bien portants furent interrogés puis suivis, confirmèrent le risque ainsi que sa proportionnalité avec le nombre de cigarettes fumées par jour et la durée des habitudes tabagiques. Une ou deux cigarettes par jour sont déjà dangereuses, car elles entraînent l'inhalation de plusieurs centaines de milligrammes de goudron par an, ce ne sont donc pas de faibles doses. Ultérieurement, on montra l'effet cancérogène de la fumée des autres, c'est pourquoi il est aujourd'hui interdit de fumer dans les lieux publics.
L'importance historique de ces travaux est grande. D'abord, ils montrent les conséquences néfastes d'une habitude ancienne et considérée jusqu'en 1950 comme relativement peu dangereuse. Les optimistes crurent que la connaissance du risque de la cigarette suffirait à faire chuter sa consommation ; en fait, si le public se pénétra des dangers du tabac, le pourcentage de fumeurs ne diminua que très lentement, et essentiellement parmi les couches les plus instruites de la population, ce qui faisait du tabac un handicap accroissant les inégalités devant la santé. Les études faites à ce propos soulignent la complexité du processus de prise de décision et l'abîme qui sépare « souhaiter » de « vouloir » et « vouloir » « d'agir ».
La découverte de l'effet carcinogène du tabac prouva aussi le rôle des facteurs exogènes, ce qui fit suspecter les milliers de nouveaux produits chimiques ayant été fabriqués et disséminés dans notre milieu par l'industrie chimique : ne risquaient-ils pas de provoquer des cancers ? Depuis 1950, de nombreux chercheurs se consacrent à ces enquêtes. Sans entrer dans le détail des travaux qui ont été accomplis, retenons les conclusions essentielles. Chez les fumeurs, l'augmentation de la fréquence de certains cancers est nette, depuis le début du xxe siècle (poumon, voies aérodigestives supérieures, œsophage, rein, vessie) ; chez les non-fumeurs et pour les autres cancers, la fréquence a peu varié ou a diminué, à âge constant. Or, si l'irruption dans notre milieu d'un grand nombre de nouveaux produits[...]
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Écrit par
- Maurice TUBIANA : professeur émérite de la faculté de médecine de Paris-Sud
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