CANNIBALISME
Souvent rapproché de l'inceste à cause de la répugnance qu'il inspire lui aussi, et des prohibitions analogues auxquelles il a donné lieu, le cannibalisme social s'en distingue pourtant : en effet, tandis que l'inceste et sa prohibition sont universels, le cannibalisme n'est attesté que dans certaines sociétés et, là où on le trouve, loin d'être interdit, il est souvent prescrit ou recommandé. Le terme « cannibalisme », formé à la fin du xviiie siècle à partir de « cannibale », provenant lui-même de l'espagnol caníbal, altération de caribal, qui, dans la langue des Caraïbes, signifie « hardi » et, au figuré, « homme cruel et féroce », désigne le fait de manger de l'homme ( l'anthropophagie stricte), ce qui correspond toujours, dans les sociétés où l'on rencontre cette pratique, à une institution rituelle. Alors que l'anthropophagie est un acte, le cannibalisme est en effet une institution sociale, dont la règle essentielle, comme l'a montré H. Clastres à propos des Tupinamba du Brésil, est que tous y participent.
Il convient toutefois de distinguer ce cannibalisme réel, fait culturel institué qui est propre à certaines sociétés et qui a suscité l'horreur indignée des premiers voyageurs, d'un cannibalisme imaginaire, présent dans les productions mythiques et les contes des sociétés les plus diverses. Les mythes grecs, aussi bien que les contes amérindiens ou africains, sont remplis de thèmes tels que ceux de l'ogre, de la dévoration des descendants, de l'autocannibalisme. L'analyse structurale a montré que ces fantasmes renvoient à d'autres catégories, qui mettent en jeu, par exemple, la nécessité de l'exogamie ou les oppositions entre le comestible et le non-comestible, entre la nature et la culture.
Approche anthropologique
Le cannibalisme institué
Dans les sociétés qui le pratiquent, le cannibalisme est toujours un acte rituel qui présente une structure sacrificielle. Mais il faut se garder, d'une part, de le confondre avec le sacrifice humain – dans lequel la victime, au lieu d'être un animal ou une chose, est une personne –, d'autre part, de le ramener à un simple « désir » de manger de l'homme, car, s'il existe dans les sociétés cannibales des individus qui ont du goût pour la chair humaine, les premiers chroniqueurs des sociétés brésiliennes racontent que beaucoup supportaient mal celle-ci et la vomissaient. Il s'agit donc là d'une institution sociale normative, étrangère à quelque penchant que ce soit, la substance humaine à ingérer, éventuellement considérée comme dangereuse, devant être prélevée, préparée et consommée dans des conditions particulières. Par là, le cannibalisme s'insère dans des schémas symboliques plus vastes concernant la nature de la mort, les représentations du monde des ancêtres, les conceptions qu'on se fait de la personne (l'image du corps humain, le devenir des instances psychiques ou « âmes »). Ainsi, bien qu'il faille se garder de généraliser, il semble que, dans l'endocannibalisme, forme de cannibalisme où le groupe mange ses propres morts, celui-ci cherche à maintenir une unité, à ne pas laisser perdre la substance qui le définit et le circonscrit, tout en établissant une distance avec ceux-ci ou tout en leur conférant le statut d'ancêtres. L'exocannibalisme, forme de cannibalisme dont les victimes appartiennent à un groupe extérieur, permettrait, en revanche, au groupe cannibale de s'approprier des substances ou des vertus qu'il ne possède pas ; il s'expliquerait aussi par le souci de venger ou d'apaiser les morts du groupe (en particulier, lorsque les victimes sont prises chez ceux qui ont tué ces derniers). D'ailleurs, ces deux formes de cannibalisme ne coexistent pas au sein d'une même [...]
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Écrit par
- Nicole SINDZINGRE : chargée de recherche au CNRS
- Bernard THIS : psychiatre, psychanalyste, docteur médical de la cure ambulatoire du centre Étienne-Marcel
Classification
Média
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