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CANNIBALISME

Approche psychanalytique

Le cannibalisme de la « horde primordiale »

L'humanité, selon Claude Lévi-Strauss, se diviserait en deux catégories : « Il y a des sociétés qui voient dans l'absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables le seul moyen de neutraliser celles-ci et de les mettre à leur profit, et celles qui, comme la nôtre [...], ont choisi la solution inverse, consistant à expulser ces êtres redoutables du corps social, en les tenant temporairement ou définitivement isolés. » Les uns seraient donc anthropophages, les autres anthropèmes (du grec émein, « vomir »). Freud soutenait, dans une lettre à Marie Bonaparte, qu'« il y a naturellement de bonnes raisons pour que, dans la vie moderne, on ne tue pas un homme pour le dévorer, mais aucune raison [...] pour ne pas manger de chair humaine au lieu de viande. Pourtant, la plupart d'entre nous trouveraient cela tout à fait impossible. » Cette impossibilité est toutefois relative, comme en témoigne le cas des rescapés d'un accident d'avion, réduits à cette dernière extrémité, ou celui des naufragés du radeau de La Méduse : après avoir utilisé les cadavres des moins résistants, les officiers s'attaquèrent à l'équipage. La faim peut transformer à ce point un groupe d'hommes civilisés et hiérarchisés. Hérodote a raconté comment les soldats de Cambyse, lors d'une expédition contre les Éthiopiens, furent amenés à dévorer un homme sur dix ; Cambyse dut renoncer à sa conquête, car il craignait que ses hommes ne devinssent pareils à des bêtes sauvages, comme ces mercenaires phéniciens et lyciens réduits, par la famine, à se manger entre eux ; Hamilcar Barca les fit écraser par ses éléphants car il pensait que ces hommes « ne pouvaient plus, sans sacrilège, se mêler aux autres hommes » (Porphyre, De abstinentia, ii, 57).

Être cannibale serait donc être un animal, un monstre, un malade mental, un fou dangereux, un sauvage, un barbare, un primitif, quelqu'un qui ignore les règles, les lois, les interdits, qui vit dans la promiscuité, pratique l'inceste et s'abandonne sans frein à tous les dérèglements et à toutes les turpitudes. À cette « nature » ensauvagée s'oppose la « culture », qui interdit d'abolir les différences et de « conjoindre les identités ».

Étudiant le cannibalisme des « peuples primitifs », Freud, dans Totem et Tabou (1912), expliquait qu'« en ingérant les parties du corps d'une personne, dans l'acte de dévoration, on s'approprie aussi les propriétés qui ont appartenu à cette personne ». En reprenant les idées de Robertson-Smith sur la fonction du repas sacrificiel comme ciment de l'unité du groupe, Freud soutenait qu'« un jour les frères se rassemblèrent, tuèrent et dévorèrent le père, mettant ainsi fin à la horde primitive [...]. Dans l'acte de dévoration, ils accomplirent l'identification avec lui, chacun s'appropriant une partie de sa force. »

Ce « mythe » de la horde primordiale conjoint le meurtre du père, l'inceste, le cannibalisme, le sacrifice, la loi morale, la mort. Le meurtre du père instaure la « castration symbolique », puisque le « signifiant du nom du père » (en tant qu'auteur de la Loi) est lié à sa mort, un tel meurtre étant ce « moment fécond de la dette par où le sujet se lie à la Loi » (J. Lacan).

On comprend que Freud, par cet opérateur « symbolique », ait pu arracher le cannibalisme à l'imaginaire incorporatif prégénital (mère-enfant). On comprend aussi que les ethnologues éprouvent quelque difficulté à accepter le « mythe freudien » de la horde primitive, lequel, d'une part, situe l'histoire de l'humanité dans une perspective patriarcale, d'autre part, considère qu'un sentiment de responsabilité a pu « persister pendant des millénaires, se transmettant[...]

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Écrit par

  • : chargée de recherche au CNRS
  • : psychiatre, psychanalyste, docteur médical de la cure ambulatoire du centre Étienne-Marcel

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Média

Scène d'anthropophagie au Brésil - crédits : AKG-Images

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