CANTIQUE DES CANTIQUES
Une collection de chants de noces
Les origines
Il est certain que le Cantique trouve son milieu littéraire dans la poésie érotique du Proche-Orient ancien. Mais il faut remarquer qu'il est plus proche de celle de l'Égypte que de celle des sémites de Syro-Palestine ou de Mésopotamie en ce qu'il n'insiste pas sur l'aspect divin de l'amour. Les reliefs du Moyen Empire égyptien et ceux de l'époque d'Akhenaton illustrent bien des images du Cantique. Un tel rapprochement suggère que la naissance de ce genre littéraire en Israël est à situer dans les premières décennies de la royauté, époque où David et Salomon organisèrent l'administration en s'inspirant du modèle égyptien (xe siècle av. J.-C.).
À la même époque et sous la même influence, les écrits de sagesse faisaient leur première apparition dans les cercles royaux, alors qu'ils ne furent recueillis et mis par écrit que plus tard, quand les traditions tendaient à se perdre. N'y aurait-il pas un parallèle à établir entre l'élaboration des livres sapientiaux et celle du Cantique ? Le fait que celui-ci soit voisin de l'Ecclésiaste (Qohéleth) dans la collection des cinq « rouleaux » liturgiques (megillôth) de la Bible juive et soit même toujours rangé après ce livre parmi les œuvres sapientielles dans la Bible grecque (Septante) rend cette hypothèse plausible. Mais là s'arrête la similitude. En effet, si l'Ancien Testament, en particulier dans ces dernières œuvres, a magnifié, célébré, assimilé à une personne la sagesse ou la justice, elle n'en a jamais fait autant de l' amour. Cela ne signifie cependant pas qu'elle ignore l'amour humain ; de nombreuses pages narrent des histoires d'amour magnifiques, dramatiques ou repoussantes. Mais ces histoires ont un ton assez parénétique, absent du Cantique, que son accent personnel et intimiste, autre trait d'aspect sapientiel, distingue aussi de la rudesse des images conjugales employées par les prophètes.
Des chants de noces
Le titre de l'œuvre, Shīr-Hashshīrīm, le chant par excellence, indique déjà qu'avant d'être rédigé ce texte a dû être chanté en dehors du rituel du temple de Jérusalem, dont les chants furent réunis dans le livre des Psaumes. Son sens doit donc être lié à l'usage qui en fut fait au cours de son existence prélittéraire.
Quatre textes de Jérémie (vii, 32-34 ; xvi, 5-9 ; xxv, 10 ; xxxiii 10 et suiv.) permettent de préciser cet emploi. Dans les trois premiers, le prophète annonce le malheur national et l'exil alors que le dernier, qui emploie les mêmes termes, est une promesse de restauration pour Juda. Voici le second : « Ainsi parle Yahvé : « Ne pénètre pas dans une maison où l'on fait le deuil..., car j'ai retiré ma paix à ce peuple, oracle de Yahvé... Voici, je vais faire disparaître de ce lieu, sous vos yeux et de vos jours, cris (qōl) de joie et cris (qōl) d'allégresse, voix (qōl) du fiancé et voix (qōl) de la fiancée. » Cette mention, quatre fois répétée dans un contexte solennel, des chants dialogués du fiancé et de la fiancée indique l'importance sociale de cet usage ; il était signe de vie, et son absence signe de mort. On ne peut que penser à des chants de noces.
Signification profane et religieuse
Au cours de son existence prélittéraire, le Cantique aurait donc été lié à de grands moments de l'institution domestique, le mariage, dont il faut se rappeler que l'importance et la force tenaient, à cette époque, non pas aux rites religieux, mais à la valeur accordée à l'institution elle-même. Le mariage était saisi, dans l'ordre de la création, comme une réalité bonne, voulue par Dieu (Gen., ii). Il n'y avait pas lieu par conséquent de faire intervenir directement le Dieu transcendant de la foi juive au moment même[...]
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Écrit par
- Jean-Pierre SANDOZ : ancien professeur aux Facultés dominicaines du Saulchoir, élève titulaire de l'École biblique et archéologique française de Jérusalem
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