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CAO CAO[TS'AO TS'AO](155-220)

« En temps normal vous seriez un malfaiteur, en temps de crise, un héros. » C'est en ces termes que le jeune Cao Cao s'entendit prédire son avenir de la bouche d'un célèbre caractérologue. Petit-fils par adoption d'un eunuque de la cour, il entra tôt dans la carrière, mais l'ascension de Dong Zhuo marqua pour lui le début d'une fulgurante aventure. Avec d'autres rebelles, il prit les armes contre le tyran, dont la prompte disparition (191) laissa le champ libre aux rivalités des coalisés. Dès lors, et pendant trente ans, Cao Cao ne cesse plus de guerroyer. Il s'assure d'abord une solide base d'opérations à l'ouest de l'actuelle province du Shandong, puis, éliminant peu à peu ses adversaires, des plus petits aux plus puissants, il finit par écraser son ennemi le plus dangereux, Yuan Shao. Cependant, la défaite de Chibi, en 208, met un terme à ses progrès et consacre pour plusieurs décennies la division de la Chine en trois royaumes. Cao Cao domine, au nord, le plus étendu des trois, qui deviendra après sa mort l'empire des Wei, tandis que les États de Wu et de Shu se partagent le Sud. Le maître de la Chine du Nord occupe ses dernières années à consolider son pouvoir. Il soumet au nord-est les Barbares Wuwan et multiplie au sud, contre ses deux derniers rivaux, des campagnes infructueuses.

Les victoires de Cao Cao s'expliquent d'abord par la puissance de ses armes. Après avoir battu et disloqué une immense armée de paysans révoltés, les Turbans jaunes, il sut enrôler une partie des vaincus sous sa bannière. À l'imitation des Han antérieurs, il créa des colonies militaires qui assurèrent l'approvisionnement régulier de ses troupes. Il fut lui-même un général hors pair, auteur d'un commentaire du fameux traité d'art militaire de Sun Wu, et inventeur infatigable de ruses de guerre qui ont fait les délices des historiens. Stratège mais aussi politicien, Cao Cao eut l'audace et l'habileté de mettre la main, dès 196, sur le dernier empereur des Han, dont il se fit le Premier ministre. À cet atout, il sut en joindre d'autres. Il obtint, par une générosité ou une clémence calculée, le ralliement des hommes de valeur et restaura l'ordre par une politique à la fois sévère et souple, inspirée des légistes.

« Malfaiteur » ou « héros » ? Cao Cao a été considéré tantôt comme un ambitieux sans scrupules, fossoyeur de la dynastie des Han, tantôt comme l'artisan génial de la réunification de l'Empire. Deux traditions historiographiques opposées se sont emparées de cette figure d'épopée. Sur la base de chroniques divergentes, la légende a proliféré, nourrissant l'art des conteurs puis le roman et le théâtre, et déchaînant les passions, y compris dans le monde savant, comme en témoigne la controverse survenue en Chine pendant les années cinquante.

C'est peut-être à travers son œuvre écrite que l'on aurait le plus de chances de découvrir le véritable Cao Cao. Ses ordonnances, ses instructions, ses lettres sont d'un prosateur direct, nerveux, efficace, capable aussi, quand il le faut, des détours et des finesses de la langue de cour. Mieux encore, Cao Cao fut un poète de génie. Son œuvre en vers ne compte qu'une trentaine de chansons, imitées des « poèmes à chanter » (yuefu) de la dynastie finissante, et pourtant sans pareilles. Sous les thèmes conventionnels, l'inspiration est toute personnelle, d'une mâle vigueur, d'une beauté rude et naturelle.

— Jean-Pierre DIÉNY

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