CAO YU ou CAOYU [TS'AO-YU](1905-1996)
Face au théâtre traditionnel, le drame moderne d'inspiration occidentale a eu quelque difficulté à s'implanter en Chine. Si le « théâtre parlé »[huaju](par opposition à l'opéra chanté) a finalement réussi à s'imposer dans les années trente, c'est en grande partie à Cao Yu qu'il le doit. Le succès rencontré aussitôt par ses différentes pièces ne tient pas seulement à la grande liberté des sujets abordés, mais aussi à un réel talent de dramaturge. Il est d'autant plus regrettable que celui-ci, après 1949, n'ait plus guère eu l'occasion de donner toute sa mesure.
Le poids du destin
Lorsqu'il publie, en 1934, sa première pièce dans la Revue trimestrielle de littérature (Wenxue jikan) et adopte le nom de plume qui le rendra très vite célèbre, le jeune Wan Jiabao n'a que vingt-quatre ans. Mais il est issu d'une famille riche et cultivée, originaire du district de Qianjiang dans la province du Hubei. Il a pu ainsi recevoir à Tianjin, où résidaient son père et sa belle-mère, une bonne formation secondaire à l'école Nankai. Il y a même fait déjà partie d'une troupe de théâtre, avec laquelle il a joué, entre autres, des pièces d'Ibsen et L'Avare de Molière. Ses études supérieures, poursuivies à l'université Qinghua de Pékin, lui ont aussi permis d'acquérir des connaissances étendues dans le domaine des langues et des littératures étrangères.
Les pièces du jeune auteur dramatique, bien que profondément originales, sont, de ce fait même, pleines à la fois de souvenirs personnels et de réminiscences. Tel est notamment le cas de la première, L'Orage (Leiyu). Fondée sur le principe classique de la reconnaissance successive des personnages, censés ignorer leur véritable origine, la pièce est une tragédie à bien des égards digne de l'Antiquité ou de Racine. Mais la découverte des liens incestueux et l'issue tragique qui en découle ne sont pas seulement une façon de mettre à nouveau en scène la fatalité du destin. Elles servent aussi et surtout à faire le procès de la famille chinoise traditionnelle, qui mêle les générations et donne aux hommes le droit de prendre autant de femmes qu'ils le désirent sans qu'ils aient à assumer les conséquences de ces unions successives.
Ainsi, un riche industriel, Zhou Buyuan, croit pouvoir vivre tranquille avec sa seconde femme Fanyi, leur fils Zhong et un autre fils Ping, né d'un premier lit. Or, ce dernier, après avoir été l'amant de sa belle-mère, s'est épris d'un amour partagé avec la servante de la maison Lu Sifeng. Survient alors la mère de celle-ci, qui découvre avec stupeur que le maître de maison est celui-là même qui, trente ans auparavant, l'avait séduite et abandonnée. D'où une situation inextricable, qui ne peut se dénouer que par la mort accidentelle de Sifeng et le suicide de Ping, tandis que Fanyi devient folle de jalousie et de chagrin.
Après cette pièce, très bien construite et menée, Cao Yu, avec Le Lever du soleil (Richu), entend changer de type de composition. S'inspirant alors plutôt de Tchekhov, qui exercera sur lui l'influence la plus profonde, il cherche à brosser une vaste fresque sociale en faisant défiler, successivement dans le salon d'une prostituée de luxe, Chen Bailu, puis dans un bordel de troisième classe, toute une série de personnages. D'abord, un intellectuel naïf, Fang Dasheng, qui ne parviendra pas à arracher Bailu à son entourage ; ensuite, plusieurs hommes d'affaires, parmi lesquels le banquier Pan Yueting, qui est l'amant en titre de la courtisane. Quand Pan, qui a été obligé de se séparer dans des conditions dramatiques de deux de ses employés, est contraint à la faillite, la jeune femme n'a plus d'autre solution que de se suicider, et Fang arrive trop tard. Mais dehors, dans la rue, des ouvriers saluent en chantant le soleil[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Paul BADY : professeur de littérature chinoise à l'université de Paris-VII
Classification
Autres références
-
CHINOISE (CIVILISATION) - La littérature
- Écrit par Paul DEMIÉVILLE , Jean-Pierre DIÉNY , Yves HERVOUET , François JULLIEN , Angel PINO et Isabelle RABUT
- 47 508 mots
- 3 médias
...religieuses et morales se rattachant au culte des ancêtres et au dogme de la piété filiale, fondements de la société et de la famille anciennes. Enfin Cao Yu est le grand dramaturge de l'époque moderne ; ses pièces d'un réalisme sombre et violent faisaient concurrence au vieux théâtre classique avant... -
THÉÂTRES DU MONDE - La tradition chinoise
- Écrit par Jacques PIMPANEAU
- 3 483 mots
- 3 médias
...cette première période. Mais ces pièces modernes étaient trop bavardes, pas assez dramatiques, et il faudra attendre les années trente avec les œuvres de Cao Yu pour que le théâtre chinois moderne s'implante dans la vie culturelle. Le théâtre grec et O'Neill furent les deux grandes influences que subit Cao...