CAPITALISME Sociologie
Le capitalisme en débat
Les travaux pionniers de Karl Marx et de Max Weber n'ont pas laissé indifférents. Au premier, Immanuel Wallerstein (Le Capitalisme historique, 1983) reproche ainsi de focaliser exclusivement son attention sur quelques pays européens. N'est-ce pas là une faute de raisonnement tant il est vrai que même les espaces dominés par le féodalisme participent aussi du phénomène capitaliste ? Hier comme aujourd'hui, l'économie-monde relie différentes régions du globe à l'aide d'une division internationale du travail qui spécialise chacune dans des activités différentes à l'aide de modes de contrôle de la main-d'œuvre également variés (salariat, métayage, servage...). Les procès et contrepoints adressés à Weber sont aussi nombreux que ceux que l'œuvre de Marx a pu susciter. Selon Werner Sombart, universitaire allemand contemporain de Weber, le puritanisme n'aurait eu en fait qu'une influence mineure sur le développement du capitalisme, à l'inverse exact de la morale thomiste (qui valorise la rationalisation de la vie) et surtout du judaïsme (qui favorise des pratiques économiques en vue de la spéculation).
La liste des contradicteurs de Marx comme de Weber est longue. Parmi les plus marquants, trois ont renouvelé fortement notre intelligence du capitalisme. Joseph Schumpeter (Capitalisme, socialisme et démocratie, 1942), le premier, place l'action des entrepreneurs-innovateurs au cœur du système capitaliste. En introduisant régulièrement du neuf (nouvelles techniques de production, nouveaux produits, nouveaux marchés...), ils dynamisent l'économie. Mais, une fois les innovations absorbées, la routine reprend le dessus et le déclin s'ensuit. L'histoire du capitalisme peut ainsi se lire comme la succession d'innovations majeures (machine à vapeur et métier à tisser ; chemin de fer, exploitation du charbon, métallurgie ; électricité, chimie, moteur à explosion ; pétrole, plastique, moteur électrique...) qui, à intervalle régulier, redonnent un nouvel élan décisif à un système que, pour sa part, Joseph Schumpeter pensait condamné à terme. Le pessimisme est tout aussi conséquent chez Karl Polanyi (La Grande Transformation, 1944), mais pour des raisons complètement différentes. Alors que Joseph Schumpeter déplore l'inéluctable avènement du socialisme, Karl Polanyi alerte à l'inverse sur les méfaits d'un marché qui, dégagé de toute régulation sociale et politique, trouve en lui-même son propre centre de gravité. L'histoire en est témoin. Lorsque les terres, la monnaie et le travail ont été transformés en marchandises, le pire est arrivé : la crise de 1929 et, à sa suite, la Seconde Guerre mondiale. Laisser libre cours aux forces marchandes du capitalisme ne peut donc que laisser présager du pire.
Les deux interprétations qui viennent d'être évoquées font directement résonance avec un débat récurrent au long du xxe siècle : faut-il choisir la voie socialiste ou celle du capitalisme ? Au milieu des années 1950, Raymond Aron prend de la distance avec cette opposition polémique. Après tout, par-delà leurs différences, ces deux systèmes possèdent de nombreux traits communs (séparation de l'entreprise et de la famille, division originale du travail, accumulation du capital, recours au calcul rationnel...) qui en font autant de variantes d'un même modèle, celui de la société industrielle.
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Michel LALLEMENT : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers
Classification
Médias
Autres références
-
CAPITALISME (NOTION DE)
- Écrit par Dominique PLIHON
- 1 414 mots
Le capitalisme est le système économique de la plupart des pays de la planète depuis l’effondrement des économies socialistes planifiées en Europe orientale et centrale, symbolisé par la chute du Mur de Berlin, en 1989. Le capitalisme peut être défini par ses deux caractéristiques principales : d’une...
-
ACTIONNAIRES
- Écrit par Pierre BALLEY
- 8 189 mots
- 2 médias
La mise en commun, entre personnes qui se connaissent et se font confiance, des ressources nécessaires à une entreprise et le partage du profit éventuel sont un usage invétéré qui a joué un rôle essentiel dans le développement des premières formes du capitalisme, notamment dans le financement du commerce...
-
AGLIETTA MICHEL (1938- )
- Écrit par Yamina TADJEDDINE
- 1 088 mots
- 1 média
Penseur du capitalisme et de la monnaie, le Français Michel Aglietta est un chercheur, un pédagogue et un expert reconnu des économistes, des historiens et des anthropologues, mais aussi des politiciens et des syndicalistes de toute tendance.
Né dans une famille modeste d’immigrés italiens en 1938...
-
AGRICOLE RÉVOLUTION
- Écrit par Abel POITRINEAU et Gabriel WACKERMANN
- 8 076 mots
C'est à travers uneimprégnation « capitaliste » que les transformations se font jour : pour les partisans de l'« agriculture nouvelle », il est nécessaire, afin d'accroître les rendements et de supprimer les jachères, d'engager dans l'agriculture de très gros capitaux ; cette attitude est véritablement... -
ALIÉNATION, sociologie
- Écrit par Jean-Pierre DURAND
- 729 mots
Pour les sociologues, le concept d'aliénation a été forgé par Karl Marx à la suite de ses lectures de Hegel. Lors du rapport salarial capitaliste, le résultat du travail de l'ouvrier ne lui appartient pas puisqu'il a échangé un temps de travail contre un salaire. À la fin de cet échange...
- Afficher les 105 références