CAPITALISME Sociologie
Un siècle de métamorphoses
Telle que la décrit Aron, la société industrielle correspond à un moment précis de l'histoire du capitalisme. En fait, celui-ci a connu de nombreuses péripéties qui interdisent d'assimiler trop rapidement le capitalisme à un type de société donné. L'image renvoyée par les premiers sociologues doit ainsi être modifiée lorsque, à la fin du xixe siècle, la diversification de la production et la montée en puissance de l'industrie de série rendent obsolètes les anciennes structures du capitalisme familial. Le temps est aux grandes entreprises, organisées en divisions multiples, capables de maîtriser l'amont comme l'aval de leur production et aptes, in fine, à dicter leurs lois au marché. Aux États-Unis, pays pionnier en matière de gigantisme industriel, le Sherman Act interdit dès 1890 la constitution de monopoles ainsi que les accords et ententes qui entravent la concurrence. Il n'empêche. En 1904, à peine plus de trois cents trusts possèdent à eux seuls les deux cinquièmes des actifs industriels.
L'apparition des très grandes entreprises a pour effet de disperser la propriété du capital. Le nombre des actionnaires allant croissant, ceux-ci perdent le contrôle au bénéfice des managers qui n'agissent plus tant en faveur de la maximisation systématique du profit que dans le sens de leurs intérêts propres. Aussi conséquente soit-elle, cette première métamorphose n'aura pas suffi pour annihiler les causes de la première grande crise du xxe siècle. Avec son cortège de chômeurs et de malheurs, 1929 consacre une contradiction majeure du capitalisme occidental : d'un côté, un système productif de plus en plus performant ; de l'autre, des conditions de rémunération du travail insuffisantes pour assurer l'écoulement des biens produits en grand nombre.
Le capitalisme qui renaît des cendres de la Seconde Guerre mondiale surmonte les difficultés anciennes en tirant vigueur d'une synergie inédite entre production et consommation de masse. Au cours des Trente Glorieuses, le marché des biens durables bénéficie à la fois des économies d'échelle qu'autorise la production en grande série et de l'augmentation du pouvoir d'achat des ménages. En France, la part des dépenses alimentaires dans le budget ouvrier passe de 60 p. 100 en 1930 à 22 p. 100 en 1978. À cette dernière date, 77 p. 100 des ménages ouvriers possèdent une automobile, 90 p. 100 un téléviseur, 80 p. 100 un lave-linge.
Le capitalisme qui s'épanouit sur ces bases nouvelles transforme complètement les relations entre la culture et l'économie. Comme le montre Daniel Bell (Les Contradictions culturelles du capitalisme, 1976), après 1945, l'ascèse protestante perd de son efficace. Grâce au crédit, la tentation de la consommation prend le pas sur le sens de l'épargne et l'hédonisme s'impose alors comme valeur motrice du capitalisme. Dans les ateliers et dans les bureaux, en revanche, les exigences initiales de rationalisation, de performance, de productivité... demeurent plus fortes que jamais.
À partir du milieu des années 1970, le capitalisme subit un nouveau traumatisme. Les économistes libéraux imputent la faute à un choc exogène (la crise pétrolière), les hétérodoxes à des transformations structurelles (évolution des attentes des travailleurs, montée des services...) qui ont tari la source des gains de productivité et enrayé la croissance économique. Si le capitalisme survit, affirment alors certains observateurs français, c'est que l'État le permet. Ce dernier, béquille du capital, prend en charge les pans de l'économie les moins rentables et laisse au secteur privé les activités bénéficiaires. Dans les années 1970, cette thèse du capitalisme monopoliste d'État fait écho à d'autres interprétations de nature socio-politique. En Allemagne, [...]
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Écrit par
- Michel LALLEMENT : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers
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