CAPITALISME Sociologie
Visages du capitalisme contemporain
Le capitalisme d'aujourd'hui n'a plus guère à voir avec celui des années 1970. À nouveau, le temps a fait son œuvre. Au cours de ces toutes dernières décennies, le fait le plus marquant est la montée en puissance des marchés financiers. Les actionnaires retrouvent un pouvoir longtemps délaissé et, au nom de la gouvernance de l'entreprise, ils savent faire pression pour rentabiliser au mieux et au plus vite leurs investissements financiers. Les effets de ce nouveau capitalisme patrimonial ne sont pas toujours des plus heureux. La remise en cause des règles qui structurent les relations sociales dans l'entreprise, la déstabilisation des marchés du travail et la réduction drastique des effectifs employés sont autant de prix à payer dans les années 1980, en raison de l'action de raiders pressés de créer de la plus-value par le simple jeu boursier. Avec les années 1990, le changement se précipite à nouveau. La décennie enregistre une extraordinaire explosion des opérations de fusions-acquisitions. Au nom de la chasse aux coûts, la concentration financière, le retour sur le cœur de métier, et la rationalisation des fonctions et des emplois deviennent les normes dominantes.
Si les bases financières du capitalisme sont ainsi bousculées, ses structures organisationnelles ne le sont pas moins. Comme le suggèrent Luc Boltanski et Eve Chiapello dans Le Nouvel Esprit du capitalisme (1999), le capitalisme d'aujourd'hui fonctionne à l'aide de deux ingrédients originaux. Les réseaux d'abord. La sous-traitance, les alliances stratégiques, les coopérations en étoile..., voilà autant de formes contemporaines d'un capitalisme qui donne la prime aux travailleurs mobiles, capables de se mouvoir d'un univers à l'autre et fortement dotés en capital social. À en juger par la rhétorique managériale dominante, le nouvel esprit du capitalisme en appelle par ailleurs à la responsabilité morale. Grâce à sa réactivité et à ses capacités d'innovation, l'entreprise modèle doit non seulement être performante sur le plan économique, mais elle doit aussi faire montre de responsabilité civique, respecter son environnement, agir en faveur des droits de l'homme, etc. Les salariés n'échappent pas à l'injonction éthique. Par un nouveau tour dont l'histoire a les secrets, le capitalisme d'aujourd'hui a su digérer la critique sociale des années 1960 et la transformer en recette de management. Les salariés sont désormais sommés de marier au mieux responsabilité, autonomie et implication subjective. En fait, il y a loin souvent entre ces critères du désirable et des conditions de travail marquées par de nouvelles pathologies telles que le stress, l'épuisement ou le harcèlement.
Si un nouvel esprit informe le capitalisme contemporain, celui-ci n'est pas pour autant homogène. D'un pays à l'autre, les visages concrets du capitalisme demeurent fort variés. Les typologies sont aujourd'hui légion. Peter Hall et David Soskice (Varieties of Capitalism, 2001), pour ne citer qu'eux, recensent deux modèles qui bornent un large spectre sur lequel s'ordonnent toutes les variétés de capitalisme contemporain. À un extrême se situent les économies libérales de marché au sein desquelles la compétition marchande et la hiérarchie organisationnelle assurent la coordination entre acteurs économiques (les États-Unis par exemple). À un autre, on trouve des économies dont la dynamique repose davantage sur une logique de l'interaction (liens contractuels, fonctionnement en réseaux, etc.) au service d'un investissement conjoint dans les machines et dans les hommes (l'Allemagne typiquement).
La globalisation ajoute encore en complexité. Loin d'unifier l'ensemble de la planète dans un vaste marché homogène, elle favorise[...]
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Écrit par
- Michel LALLEMENT : professeur de sociologie au Conservatoire national des arts et métiers
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