CARAVAGE. LES DERNIÈRES ANNÉES (exposition)
Caravage est l'un des peintres les plus suivis (au sens quasi médical du mot) par les historiens de l'art. Sans parler des livres de vulgarisation ni de l'énième récit romançant sa vie, pas une année ne passe qui n'apporte sa moisson de documents inédits et d'ouvrages ou d'articles érudits sur sa carrière et son œuvre.
Ces avancées de la connaissance expliquent, en matière d'expositions, le besoin éprouvé par les spécialistes de revenir sur tel ou tel sujet. Vingt ans après Caravaggio in Sicilia. Il suo tempo, il suo influsso à Syracuse, le musée de Capodimonte à Naples (du 23 octobre 2004 au 23 janvier 2005), puis la National Gallery à Londres (du 23 février au 22 mai 2005) ont ainsi présenté Caravaggio. L'ultimo tempo/The Final Years 1606-1610, qui pouvait apparaître comme une suite de l'exposition Sulle orme di Caravaggio tra Roma e la Sicilia (Sur les traces de Caravage, entre Rome et la Sicile), à Palerme au printemps 2001.
L'exposition de Naples et de Londres se limitait à des œuvres du maître, sans chercher à éclairer les milieux artistiques où elles furent créées, ni à montrer l'énorme influence qu'elles exercèrent. Il s'agissait d'une rétrospective partielle, visant d'abord à procurer une délectation assurée par la très haute qualité des tableaux réunis, mais illustrant aussi l'idée de périodes dans la carrière du peintre, singulièrement pour les quatre années allant de son départ précipité de Rome, à la fin de mai 1606, après qu'il eut été condamné à la peine capitale pour avoir tué Ranuccio Tomassoni, et s'achevant, le 18 juillet 1610, avec sa mort prématurée à Porto Ercole, sur le chemin qui le ramenait à Rome après la longue fuite qui l'avait conduit à Naples, à Malte, en Sicile, puis à Naples encore.
Sur les vingt-huit tableaux présentés à Naples, dont cinq d'attribution récente et quatre copies anciennes, Londres n'en retenait que seize, tous presque unanimement reconnus par les spécialistes comme des œuvres du maître. Une telle réduction signifiait l'abandon de toute perspective de recherche, parti raisonnable dans la mesure où un tel projet aurait pâti de l'absence de quatre tableaux capitaux : les Sept Œuvres de miséricorde de Naples, l'Enterrement de sainte Lucie de Syracuse, la Madone du rosaire de Vienne et la Décollation de saint Jean-Baptiste de La Valette.
Ainsi libéré des exigences de la stricte histoire de l'art et des inquiétudes des attributionnistes, confronté à un petit nombre d'incontestables chefs-d'œuvre spacieusement accrochés, le visiteur à Londres avait tout loisir de chercher une unité qui, au-delà de la chronologie, pouvait justifier le regroupement des œuvres et permettre de parler d'un « dernier Caravage » comme du « dernier Beethoven » – celui des quatuors de 1824-1828 – ou du « dernier Cézanne », à propos des Sainte-Victoire d'après 1900 et des Grandes Baigneuses. Pour le dire autrement, le spectateur était invité à saisir, à essayer de définir une différence essentielle, d'atmosphère sinon de style, entre les œuvres d'avant et d'après mai 1606 – sans perdre de vue le fait qu'un homicide commis dans le feu d'une rixe n'était sans doute pas, à l'époque, un événement propre à bouleverser un homme violent, déterminé et bien rôdé aux coups de poing et d'estoc. Peut-être propre toutefois – c'est une question – à ranimer en lui un sentiment de culpabilité latent, mystérieux, mais déjà sensible dans plusieurs tableaux romains, et à donner à son œuvre une gravité nouvelle.
Dans la première salle, le rapprochement des deux versions de la Cène à Emmaüs, peintes en 1602 et en 1606, posait délibérément cette question... et y répondait non moins délibérément,[...]
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Écrit par
- Alain MADELEINE-PERDRILLAT : responsable de la communication de l'Institut français d'histoire de l'art
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