CARAVAGE (vers 1571-1610)
Les tableaux de Saint-Louis-des-Français
La faveur que certains mécènes témoignent à Caravage lui permet de peindre pour des églises (San Agostino, Saint-Louis-des-Français, Sainte-Marie-du-Peuple) ou pour des particuliers de grands tableaux religieux. La nouvelle dimension conférée à sa peinture, son aspect monumental dérivent d'Annibal Carrache qui était présent à Rome depuis 1595. Pour la chapelle Contarelli de Saint-Louis-des-Français, Caravage a peint, entre 1599 et 1600-1602, trois tableaux ; dans La Vocation de saint Matthieu, le peintre a voulu opposer le temporel et le spirituel ; le Christ, dont la majesté et la solennité semblent dériver de Masaccio, d'un bras désigne Matthieu, tandis que de l'autre, représenté dans un saisissant raccourci, il veut convaincre le spectateur ; mais le Christ est déjà absent puisque la position de ses pieds indique qu'il va partir ; l'apôtre Pierre répète timidement et à l'échelle humaine le geste du Christ sans bien comprendre que celui-ci est déjà virtuellement absent. Caravage peint parfois les choses et la résonance des choses. Ce dialogue parallèle est, selon nous, une des plus belles idées de l'histoire de la peinture du xviie siècle. Le critique Bellori disait de Caravage qu'il avait restitué aux couleurs le sang et la carnation en un temps où elles n'étaient que fard et vanité. Caravage veut, en effet, rendre à la couleur sa dignité, c'est-à-dire son intensité. Par l'emploi du ton local, le rouge sera un vrai rouge, différent des teintes délavées des maniéristes.
En face de La Vocation, Caravage représenta Le Martyre de saint Matthieu : œuvre plus complexe, plus ambitieuse, malgré des éléments encore maniéristes comme les deux figures repoussoirs situées au premier plan ; l'ange donnant la palme au saint, posé sur un nuage, vient de Corrège, notamment de La Vierge à l'écuelle (Galerie nationale, Parme). Comme souvent chez Caravage, les figures sont mises en évidence et non pas noyées dans l'action. La lumière joue un rôle primordial. L'artiste s'arrête à tous les jeux de la lumière qui détermine, à ses yeux, la forme et par conséquent le dessin, le volume et la couleur même de l'objet pris pour modèle. La lumière telle qu'elle est utilisée par Caravage fige, dans l'éclair d'un instantané, les gestes, les attitudes en les chargeant parfois d'une signification intemporelle. Mais la lumière qui plonge la scène dans un clair-obscur silencieux et dramatique est dotée de qualités surnaturelles et immatérielles qui produisent un effet psychologique ou dramatique ; cette lumière, en général statique, qui se fait substance dans la matière picturale, souligne les moindres détails et révèle une exécution impeccable, un métier sans effets d'empâtement.
La Crucifixion de saint Pierre et La Conversion de Saül (Sainte-Marie-du-Peuple, Rome), terminés en novembre 1601, sont peut-être les tableaux qui font le mieux comprendre que Caravage est un « grand créateur de formes simples » (Longhi). Bellori critiquait le second tableau pour son manque total d'action. Comprenons qu'il le faisait pour mieux louer Carrache ; dans la représentation d'une histoire, Carrache accepte le développement naturel des faits en insistant sur les causes et les conséquences ; Caravage, lui, représente le fait à l'état brut, « cueille la vérité de l'instant et l'immobilise » (Argan).
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Écrit par
- Arnauld BREJON DE LAVERGNÉE : conservateur en chef du musée des Beaux-Arts de Lille
- Marie-Geneviève de LA COSTE-MESSELIÈRE : critique d'art
Classification
Médias
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